[Le Soir] Morgan a coupé la jambe du garde Amisi au niveau du genou, a retiré la viande, brandi le fémur comme un trophée et hurlé : je vais tous vous manger si vous ne faites pas ce que je vous dis… »
Ce témoin du massacre survenu à la station d’Epulu, dans le district de l’Ituri, au cœur de la réserve de faune à okapis dans le nord-est du Congo, est toujours sous le choc : dimanche dernier, des hommes lourdement armés de fusils AK47 et de deux PKM (des kalachnikovs à canon léger), ainsi que d’un téléphone satellite ont surgi entre les bâtiments, en provenance, semblait-il, de Kisangani. Certains étaient entièrement nus, d’autres portaient de faux uniformes de l’armée congolaise et chantaient à tue-tête. Des combattants Maï-Maï figuraient également parmi les assaillants.
A leur tête se trouvait un certain Morgan, braconnier tristement célèbre dans la région, qui avait déjà été arrêté à trois reprises à proximité d’Epulu, alors qu’il chassait des éléphants. Morgan, originaire du village Epene, dans la collectivité de Bombo, premier centre de capture des okapis, nourrissait une haine particulière à l’encontre du garde Amisi, qui l’avait mis en prison et, selon certains, torturé. La vengeance de Morgan et de son corps expéditionnaire de « Simbas » (lions) fut terrible : deux gardes furent tués sur-le-champ et l’épouse d’Amisi fut brûlée vive sous le regard de tous. Au total, 7 personnes trouvèrent la mort et la plupart des gardes prirent la fuite en direction de la forêt.
Les assaillants s’en prirent aussi aux bâtiments de la station d’Epulu : les maisons furent saccagées et pillées, le bureau administratif, le corps de garde, le centre d’accueil et les véhicules furent incendiés. L’armée congolaise fut alors envoyée sur place et les rebelles s’enfuirent sans résistance, en emmenant avec eux, dans la forêt, un nombre indéterminé de civils en otages, afin qu’ils transportent leur butin. Plusieurs femmes furent également enlevées et violées.
Les assaillants s’acharnèrent aussi sur les okapis, qui faisaient la fierté de la station : tous les animaux en captivité, soit 14 d’entre eux, furent tués par balles. Seule une femelle, retrouvée avec trois balles dans le corps, a survécu.
L’attaque de la station d’Epulu et le massacre des okapis représentent un coup particulièrement dur pour l’ICCN, l’Institut congolais de conservation de la nature, qui s’efforçait de réhabiliter la réserve, classée par
l’Unesco, à l’instar du parc des Virunga au Nord-Kivu, comme patrimoine mondial de l’humanité. Les okapis en effet sont une espèce classée sur la « liste rouge », celle des animaux en voie de disparition. Leur nombre total ne dépasse plus les 3.600 unités, qui vivent en liberté autour d’Epulu, dans une région de 13.000 km2.
C’est précisément afin de leur permettre de se reproduire, d’être étudiés et admirés par des visiteurs que la station avait capturé une quinzaine d’entre eux. Morgan en a décidé autrement, détruisant un centre qui faisait la fierté de la région et commençait à attirer un nombre croissant de touristes.
Après le temps des premiers secours, il restera à déterminer la provenance des armes lourdes mises à la disposition des braconniers et les bénéficiaires ultimes de cette nouvelle agression contre les parcs naturels et le tourisme dans l’Est du Congo.
Le Soir