RDC : les expatriés des Nations unies, ça déménage !

(Jeune Afrique)

Cela va bientôt faire un an que les Nations unies ont commencé à redéployer leurs fonctionnaires dans l’Est. Mais les faire venir n’a pas été une mince affaire. Et n’est pas sans conséquences.
Symbole de la présence des expatriés des Nations unies, avec leurs privilèges, le « PX » de Kinshasa, un supermarché détaxé réservé au personnel onusien, a fermé ses portes le 30 août, après huit années de service. Ces derniers mois, les fonctionnaires onusiens s’étaient faits plus rares dans la capitale congolaise. Et pour cause : beaucoup ont été redéployés dans les régions de l’est du pays.
C’est Goma, la grande ville du Nord-Kivu, qui a hérité du nouveau siège de la Monusco et de la plupart de ses fonctionnaires. Ils sont désormais plus d’un millier à vivre sur la rive sud du lac Kivu, dans une province qui, depuis vingt ans, a vécu guerres et déplacements de population – sans compter les contingents militaires, déployés dans toute la région mais dont la base est à Goma. Au total, admet la Monusco, 95 % de ses Casques bleus et les trois quarts de ses civils sont désormais positionnés au Katanga, dans la Province-Orientale et dans les deux Kivus.
Il était temps de prendre des décisions fortes pour montrer que l’ONU ne restait pas les bras croisés à Kinshasa.
La décision avait été prise en mars 2013 par le Conseil de sécurité. Quatre mois plus tôt, incapables d’empêcher la prise de Goma par les rebelles du Mouvement du 23-Mars (M23), les Casques bleus avaient une nouvelle fois été humiliés. Il était temps de prendre des décisions fortes pour montrer que l’ONU ne restait pas les bras croisés à Kinshasa. La plus importante fut la création de la Brigade d’intervention avec ses soldats sud-africains, malawites et tanzaniens.
Dotée d’un mandat offensif inédit, elle allait fournir un appui déterminant à l’armée congolaise pour venir à bout des rebelles. « Mais nous avions aussi besoin de civils pour restaurer l’autorité de l’État dans les zones reconquises », explique le général nigérien Abdallah Wafy, le chef adjoint de la Monusco. Lui-même s’est installé à Goma dès novembre 2013 pour donner l’exemple.
Le matériel lourd a dû être transporté par les airs
Selon le gouverneur de la province du Nord-Kivu, l’opération est un succès. « Le commandement s’est rapproché du terrain, ce qui permet de prendre des décisions sans passer par Kinshasa, qui est à plus de 2 000 kilomètres, affirme Julien Paluku. Et puis il y a eu un effet dissuasif sur les groupes armés : maintenant, ils savent que les chefs de la Monusco sont ici et qu’ils réagiront vigoureusement en cas d’attaque. »
Au-delà du considérable défi logistique (en l’absence de route reliant Kinshasa à Goma, le matériel lourd a dû être transporté par les airs), il a fallu affronter les réticences du personnel. « L’ONU est très bureaucratique, confirme Wafy. En quatorze années d’existence, elle avait pris ses aises à Kinshasa. Certains n’avaient pas envie de s’installer dans une zone instable, où l’état des routes et des réseaux d’eau et d’électricité laisse à désirer. Et puis, c’est une première étape avant un retrait total. Cela a fait réfléchir sur la pérennité des carrières… »
Une partie des expatriés a obtenu une mutation vers le Mali ou la Centrafrique, où se créaient, au même moment, de nouvelles missions promises à un long avenir. Mais c’est surtout chez les employés locaux, dont les contrats ont été rompus, que les réactions ont été les plus vives. « Cela s’est mal passé, continue Wafy. Quand vous employez des gens depuis plus d’une décennie et que des liens se sont tissés, il est très difficile de les mettre à la porte du jour au lendemain. D’un autre côté, les gens de l’Est n’auraient pas compris que l’on arrive avec des employés kinois sans recruter chez eux. »
Et lorsque la Monusco, avec son budget annuel de 1,4 milliard de dollars (1 milliard d’euros), se déplace, c’est un pan de l’économie congolaise qui voyage. À Kinshasa, la disparition des salaires des fonctionnaires expatriés, qui avoisinent fréquemment les 10 000 dollars par mois, a forcément des retombées locales : employés de maison et chauffeurs se retrouvent sans emploi, tandis que les restaurants, bars et boîtes de nuit ont vu leurs recettes diminuer.
A contrario, « la fin de la guerre et l’arrivée des employés de l’ONU font que le Nord-Kivu connaît en ce moment un véritable boom économique, affirme le gouverneur Paluku. Nos recettes fiscales ont triplé au cours du premier semestre 2014, passant de 5 à 15 millions de dollars par mois. » Ihusi, l’hôtel le plus emblématique de la ville, fait construire un nouveau bâtiment de plusieurs étages, à deux pas du camp de la Monusco.
À Kinshasa, de belles villas se sont vidées
Mais cette arrivée a aussi des effets pervers à Goma : les prix des maisons confortables du centre-ville ont flambé – comptez désormais 2 500 dollars par mois. « Il y a parfois des manifestations hostiles à la Monusco, reconnaît Paluku. On l’accuse de profiter du conflit. Mais les habitants ont tendance à tout attendre des organisations internationales. S’ils subissent des coupures d’eau ou d’électricité, ils vont le leur reprocher, alors que cela relève de la responsabilité de l’État. »
À Kinshasa, de belles villas se sont vidées, et leurs loyers redeviennent abordables. Seuls les services en contact permanent avec le gouvernement congolais (le département des affaires politiques notamment) sont restés. Même les deux unités de police stationnées dans la capitale ont été envoyées dans l’Est. Alors que les échéances électorales approchent, avec le risque de tension qui y est associé dans cette ville frondeuse, le moment était-il opportun ?
« Personne n’imagine que nous quittions le pays avant au moins 2016 [date théorique de la prochaine présidentielle], répond Wafy. Nous avons gardé des antennes dans tout l’Ouest pour nous tenir informés et faciliter un redéploiement si nécessaire. » En tout cas, « le pouvoir n’est pas mécontent de voir les 4×4 de l’ONU s’éloigner, assure un diplomate européen. À Kinshasa, la Monusco est appréciée quand elle fournit un soutien militaire et logistique. Beaucoup moins lorsqu’elle se montre critique sur la démocratie ou les droits de l’homme. »

Recommandé pour vous

A propos de l'auteur : Adeline Marthe