(La Prospérité)
Le Ministre de la Justice et droits Humains, Wivine Mumba Matipa, a brossé succinctement quelques éléments de la réforme de la justice en corrélation directe avec le thème du séminaire sur la réforme des systèmes sécuritaires en RD Congo. Les défis à relever persistent dans le secteur de la justice nonobstant les réformes entreprises. Les efforts sont fournis, a-t-elle expliqué, pour lutter contre l’impunité des crimes des violences sexuelles. Un autre pan de la réforme du secteur de sécurité, dans le domaine de la justice et droits humains, c’est la situation de surpopulation carcérale dans certains établissements pénitentiaires et le nombre très élevé des détentions irrégulières constatées dans les prisons de la République Démocratique du Congo qui, selon Mme la Ministre, requièrent la stricte observation par les officiers du Ministère public des instructions en matière de respect des conditions légales de la détention.
Ci-après la communication du Ministre de la Justice et droits Humains à l’occasion du séminaire organisé par le Parlement de la RDC en partenariat avec le Secrétariat général parlementaire de l’Assemblée Parlementaire de la francophonie.
Honorable Président de l’Assemblée Nationale ;
Monsieur le Secrétaire Général de l’Assemblée des Parlementaires Francophones ;
Excellence Monsieur le Vice-Premier Ministre, Ministre de la Défense Nationale et des Anciens Combattants ;
Monsieur le Ministre de l’Intérieur, Sécurité, Décentralisation et Affaires Coutumières ;
Messieurs les Ministres et Chers Collègues ;
Honorables Sénateurs ;
Honorables Députés ;
Messieurs les Ambassadeurs et Chefs des Missions Diplomatiques ;
Distingués invités en vos titres et qualités ;
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs ;
J’ai l’insigne honneur de prendre part à ces assises sur l’invitation de l’Honorable Président de l’Assemblée Nationale auquel j’exprime ma gratitude.
En ma qualité de Ministre de la Justice et Droits Humains, j’aborderai la Réforme du système de sécurité dans notre pays à travers son volet relatif à la justice, et particulièrement au regard de la Réforme de la justice que le Gouvernement conduit et de ses avancées les plus significatives.
Il est indéniable que la justice joue un rôle primordial dans la sécurisation des peuples.
S’il est vrai qu’il n’y a pas de paix sans justice, il est encore plus vrai qu’il n’y a pas non plus de justice sans paix. Justice, paix et démocratie sont les gages mêmes d’un Etat de droit.
L’Etat de droit passe inéluctablement par la garantie de l’administration d’une bonne justice, la réparation des dommages causés aux victimes, la protection des témoins, la stabilité des institutions judiciaires et l’assurance de l’indépendance de la magistrature. Conscient de ce postulat, le Gouvernement, dans le sillage de notre loi fondamentale résolument tournée vers le renforcement de l’Etat de droit, n’a pas hésité à mettre en place depuis 2007, le Plan d’actions de la Réforme de la justice.
Parmi les défis que le contexte de post-conflit nous impose de relever, la lutte contre l’impunité, par la répression de crimes graves, crimes de génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, occupe une place prépondérante.
Au niveau international, en complémentarité et en coopération avec la cour pénale Internationale(CPI), la RDC poursuit la répression de cette catégorie d’infractions pour décourager systématiquement les auteurs, co-auteurs ou complices de ces crimes en vue de protéger sa population vis-à-vis des conséquences néfastes résultant de la perpétration de ces forfaits d’une gravité incommensurable.
Soulignons à titre illustratif que la République Démocratique du Congo est le premier Etat-partie au Statut de Rome de la CPI à avoir déférer ses ressortissants à cette juridiction (Thomas Lubanga, Germain Katanga, Bosco Ntaganda, Mathieu Ngudjolo).
La RDC a entrepris l’intégration des dispositions du Statut de Rome dans sa législation interne. Processus qui a donné lieu à la promulgation notamment de la loi organique n°13/011-B du 11 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétence des juridictions de l’ordre judiciaire dont l’article 91 confère aux Cours d’Appel la compétence pour connaitre les crimes internationaux.
La volonté du Gouvernement Congolais de lutter contre les crimes considérés comme les plus graves se traduit aussi dans le processus de préparation du cadre législatif pour la mise en place des chambres spécialisées qui faciliteront l’accès à la justice des Victimes de tels crimes.
Si le choix de juridictions nationales a déjà été effectué à travers cette loi, il apparait néanmoins indispensable de prévoir le cadre idoine d’opérationnalisation de la prise en charge de ces crimes. Dans notre pays, prévoir les poursuites et le jugement des auteurs des infractions internationales n’est pas un simple exercice de style théorique et leur mise en œuvre permettra de consolider la paix en favorisant les efforts de réconciliations à travers l’exercice de justice proche des victimes.
La République Démocratique du Congo s’est interrogée plusieurs fois sur les dispositifs à mettre en œuvre pour lutter contre l’impunité de ces crimes et divers mécanismes juridictionnels et de justice transitionnelle ont été mis en œuvre avec plus ou moins de succès, la Cour Pénale Internationale n’ayant pas vocation à juger l’ensemble des crimes commis sur le territoire de la République Démocratique du Congo.
Le projet de la loi organique relatif aux chambres spécialisées se fonde sur la nécessité de multiplier les procès menés par les congolais, sur le sol Congolais et dans le respect des règles du procès équitable au sein des juridictions congolaises.
Renforcer l’appareil judiciaire congolais viendra répondre aux fortes attentes de la société civile. Le jugement, par les juges congolais, des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, est emblématique de la capacité du pouvoir judiciaire congolais à affirmer son indépendance du pouvoir politique, à insuffler une nouvelle dynamique dans les rapports avec les justiciables et constituera la gage pour nos compatriotes de la prise en charge judiciaire effective de l’usage politique des massacres.
La question de la lutte contre les violences sexuelles et basées sur le genre préoccupe au plus haut point notre pays tant il est vrai qu’il s’agit d’un phénomène qui n’est pas inhérent à la culture congolaise, mais bien plus, la conséquence des guerres successives lui imposées principalement par ses voisins. La sécurité de nos concitoyens a été profondément compromise par l’instrumentalisation comme arme de guerre du corps des femmes, hommes et enfants.
Pour lutter efficacement contre ce phénomène, le Gouvernement congolais, appuyé par les partenaires au développement et en collaboration avec les organisations de la société civile, a élaboré dès la fin de l’année 2009 une stratégie nationale de lutte contre les violences sexuelles et basées sur le genre.
Cette stratégie, à travers ses différentes composantes à savoir : lutte contre l’impunité, prévention et protection, renforcement du secteur de la sécurité, assistance multisectorielle, données et cartographie, assure une prise en charge multisectorielle ou holistique des victimes.
S’agissant spécifiquement de la lutte contre l’impunité des violences sexuelles, il y a lieu de rappeler que l’élaboration de deux nouvelles lois modifiant le code pénal congolais et le code de procédure pénale ont le mérite de renforcer la lutte contre les violences sexuelles :
La première, la Loi n°006/018 du 20 juillet 2006, vient compléter et ériger en infraction les différentes formes de violences sexuelles jadis non incriminées dans le code pénal et consacre la définition conformément aux normes internationales applicables en la matière, l’homme et la femme étant reconnus comme potentiels victimes de viol.
Quant à la seconde, la Loi n°06/019 du 20 juillet 2006, certaines dispositions du Code de procédure pénale sont modifiées et complétées en vue d’assurer la célérité dans la répression, de sauvegarder la dignité de la victime et garantir à celle-ci une assistance judiciaire.
Quoique la mise en œuvre de la stratégie, se soit réalisée dans un contexte de conflit et post-conflit, caractérisé par le délabrement des infrastructures et l’absence des cours et tribunaux dans certaines parties du pays, les juridictions congolaises ont réprimé sans désemparer tous les cas de violences sexuelles leur soumis.
Les statistiques civiles et surtout militaire démontrent que, quel que soit son rang, tout militaire ou officier qui a été reconnu coupable a été sanctionné conformément aux lois.
Pour affirmer l’autorité de l’Etat et pallier le déficit d’infrastructure, la tenue d’audiences foraines contribue à la lutte contre l’impunité et permet aux victimes d’accéder à la justice. L’accès à la justice est pris en charge par le programme prioritaire du Gouvernement visant la construction des tribunaux de paix dans les plus brefs délais.
Se sont également développées, des cliniques juridiques qui servent comme porte d’entrée du système judiciaire pour un grand nombre de victimes de violences sexuelles. Elles permettent de véhiculer une information juste sur les procédures judiciaires ainsi qu’un accompagnement des survivants qui manifestent l’intérêt de poursuivre les présumés auteurs.
Plusieurs autres initiatives affirment l’engagement de la République contre ce fléau. C’est notamment de :
-La création d’un poste de Représentant Spécial chargé particulièrement de la question des violences sexuelles et des recrutements d’enfants confrontés aux conflits armés ;
-La signature le 30 mars 2013, du communiqué conjoint entre le Gouvernement et Madame la Représentante personnelle chargée particulièrement de la question des violences sexuelles et des enfants confrontés aux conflits armés ;
-La formation continue des magistrats sur la protection des victimes et témoins des violences sexuelles et droits de l’homme en général ;
-L’installation au sein des parquets de grande instance, des cellules spéciales pour la répression des infractions de violences sexuelles et basées sur le genre ;
-Le projet de mise en place d’un mécanisme d’indemnisation et répression des victimes de violences sexuelles ;
-L’adoption de la loi sur la partie et la révision du Code de famille. Si pour le premier texte, le parlement est actuellement en train d’intégrer l’avis de la Cour Suprême de justice, le second texte est en plein examen par le Sénat avant sa relecture à l’Assemblée Nationale ;
-Le plan d’action des FARDC sur les violences sexuelles.
-La publication des données sur l’ampleur des violences sexuelles ;
-La mise en place d’une police spéciale de protection des femmes et des enfants.
-L’organisation d’une Cour militaire opérationnelle dans les zones en conflits…
Honorables Députés et Sénateurs,
Mesdames et Messieurs,
En dépit des efforts entrepris par le Gouvernement, la communauté Internationale et la société civile pour lutter contre l’impunité des crimes des violences sexuelles dans un contexte de conflits et post-conflit, plusieurs défis persistent. Il s’agit de :
-Réduire l’insécurité aux limites minimes dans les zones d’intervention en consolidant la paix et poursuivre l’attaque contre tous les groupes armées encore actifs dans certaines zones de la RDC ;
-Renforcer les effectifs des magistrats et autres personnels de justice ainsi que la représentativité des femmes dans le secteur judiciaire et améliorer leurs conditions de travail ;
-Mettre en place un mécanisme d’indemnisation ou réparation en faveur des victimes ;
-Mettre en place un mécanisme de protection des intervenants dans les dossiers judiciaires (magistrats, témoins).
Dans le même contexte et dans le but de consolider la paix, restaurer et renforcer l’autorité de l’Etat, le Gouvernement congolais a mis en place, en 2009, le programme de stabilisation et de reconstruction des zones sortant des conflits armés (STAREC) avec l’appui des partenaires internationaux qui interviennent également dans le domaine de la réforme de la justice.
La réforme du secteur sécuritaire dans son pilier « justice » concerne l’administration de la justice qui implique sans aucun doute la lutte contre la corruption et le respect des droit des citoyens qui, en RDC se traduit aussi à travers l’architecture prescrite par la constitution, à savoir l’établissement des hautes Cours de justice mais aussi au niveau local à travers la nouvelle cartographie judiciaire avec les tribunaux de paix munis de parquet.
La modernisation du cadre juridique et la mise en place de trois hautes Cours en lieu et place d’une seule Cour Suprême de justice s’est matérialisée avec la loi organique n°13/010 du 19 février 2013 relative à la procédure devant la Cour de cassation et la loi organique portant organisation et fonctionnement de la cour Constitutionnelle et l’Ordonnance n° 14/020 du 7 juillet 2014 du chef de l’Etat portant nomination des juges constitutionnels. Son opérationnalisation est imminente.
Honorables Députés et Sénateurs,
Mesdames et Messieurs,
Si le secteur pénitentiaire est l’ultime maillon de la chaine pénale, il donne toute l’ampleur à l’administration de la justice rendue en amont. C’est ainsi que la réforme pénitentiaire est une priorité pour le Ministère de la justice et droits Humains, réforme qui doit allier sécurité et Etat de droit.
Sécurité tout d’abord : le Ministère a défini le parc pénitentiaire de la République Démocratique du Congo et conduit un plan directeur de réhabilitation et de rénovation de ses prisons.
Le droit pénal au sens large est un droit qui protège les valeurs de la société mais dont il convient aussi de se protéger en raison des prérogatives exorbitantes de l’Etat et en premier lieu, celle de priver un individu de sa liberté. C’est pourquoi, une circulaire rappelle les principes constitutionnels de tout Etat de droit.
A travers cette circulaire, la politique pénale en matière de privation de liberté a été déterminée. La définition claire d’orientations en matière de priorité des poursuites et les clarifications en matière de conditions légales de détention sont les préalables indispensables à la conduite quotidienne, par tous les magistrats du ministère public, d’une action lisible, harmonisée et respectueuse des Droit Humains sur l’ensemble du territoire de la République. Le choix de prioriser certaines infractions se justifie en raison d’un code pénal centré sur la peine privative de liberté et de la sur-utilisation de la privation de liberté sur le terrain, particulièrement pour des infractions d’une faible gravité. De plus, la situation de surpopulation carcérale dans certains établissements pénitentiaires et le nombre très élevé des détentions irrégulières constatées dans les prisons de la République Démocratique du Congo, requièrent la stricte observation par les officiers du Ministère public des instructions en matière de respect des conditions légales de la détention.
Ainsi, l’accent est porté d’une part sur le respect de la personne humaine afin de donner toute sa portée à l’article 16 de la Constitution qui dispose que «La personne humaine est sacrée » et d’autre part, sur la lutte contre toute forme de prévarications.
Toujours dans cette même perspective, le Gouvernement s’est engagé dans une de plus grandes réformes de tout Etat de droit, à savoir la refonte du Code pénal qui reflète le projet de la société congolaise contemporaine et les valeurs qu’elle entend défendre.
Le projet de loi portant nouveau Code pénal de la République Démocratique du Congo tel qu’il sera présenté au parlement, inscrit les principes généraux de droit pénal et apporte de nombreuses innovations notamment la responsabilité pénale des personnes morales, des sanctions alternatives à la peine privative de liberté, l’insertion des infractions prévus par le statut de Rome, la modernisation des infractions de prévarications.
Plus encore il renouvelle entièrement l’économie de l’exécution de la sanction pénale, notamment en créant un juge de l’application de peine.
Honorable Députés et Sénateurs,
Mesdames, Messieurs,
Dans le cadre de la lutte contre la corruption, la Loi N°005/006 du 29 mars 2005 modifiant et complétant le Décret du 30 janvier 1940 portant code pénal congolais a érigé plusieurs faits en infraction de corruption, concussion et faits assimilés.
D’aucuns n’ignorent que parmi les causes qui ont donné lieu aux guerres, meurtri le peuple congolais et engendré l’insécurité, on y dénombre l’exploitation et l’exportation illicites des ressources minérales et forestières de notre pays.
Cependant, en vue de lutter contre ce commerce illicite, la République Démocratique du Congo a ratifiée la convention des nations unies, le protocole de la SADC contre la corruption et la convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption. L’application de ces instruments internationaux implique leur harmonisation par rapport au cadre légal national. Ce qui a donné lieu à une autre modification du code pénal congolais dont le projet a été initié au niveau du Gouvernement.
Pour ce faire, une agence de lutte contre la corruption est en voie d’être mise en place et le projet de l’acte de création de cette agence a été élaboré.
Il y a lieu de signaler en outre que le gouvernement, le secteur privé et la société civile ont signé un pacte anti-corruption de lutte contre la corruption. La lutte contre l’impunité en matière d’enrichissement illicite a nécessité la transparence dans l’acquisition des ressources à travers la déclaration des patrimoines telle que prévue aux articles 99 de la constitution et 9 du Décret-loi 017/2002 du 3 octobre 2002 portant code de conduite de l’agent public de l’Etat relatifs à la déclaration des avoirs. Ces dispositions instituent la déclaration du patrimoine par les Membres du gouvernement ainsi que tous les agents publics de l’Etat.
Il est important d’améliorer davantage le cadre législatif en cette matière par une loi qui clarifierait les obligations de tous les autres agents détenteurs de l’autorité de l’Etat dont les magistrats, mandataires publics, officiers supérieurs de l’Armée…
Honorables Députés et Sénateurs,
Mesdames, Messieurs,
Voici brossés très rapidement quelques éléments de la réforme de la justice en corrélation directe avec le thème de ce jour sur la réforme du système sécuritaire.
Pays aux dimensions continentales et malheureusement Etat post-Conflit, la RDC s’attèle à retrouver sa place dans le concert des nations et ce nonobstant les conséquences des guerres récurrentes qui, sans conteste en ont fragilisé les institutions et les structures étatiques de base, éléments importants pour un Etat de droit.
Je vous remercie.
Wivine Mumba Matipa