La réforme du secteur de sécurité et les défis de la stabilisation en République Démocratique du Congo

Monusco

PROPOS INTRODUCTIFS

C’est avec plaisir que nous prenons la parole au cours de cette matinée de réflexion pour vous faire part de notre grille de lecture sur le thème qui nous a été confié pour analyse à savoir : la réforme du secteur de sécurité et les défis de la stabilisation en RDC.
Etant depuis plusieurs années très intéressé par cette question, nous tenterons de vous donner notre propre analyse en notre double qualité. D’abord comme Coordonnateur National du Réseau pour la Réforme du Secteur de Sécurité et Justice qui est une plate-forme de plusieurs Organisations de la Société Civile Congolaise intéressées à la thématique de réforme du secteur de sécurité et justice. Ensuite, en qualité de modérateur du Groupe de Travail sur le suivi de la Mise en œuvre de l’Accord-cadre qui a eu à produire deux importants rapports qui se sont penchés également sur cette question de stabilisation.
En un mot, notre communication tournera autour de trois points suivants :
• Le premier point fait un bref aperçu du contexte en matière de sécurité et justice ;
• Le deuxième point souligne quelques points d’attention sur la nature de l’appui de la MONUSCO en matière de Réforme du Secteur de Sécurité ;
• Le troisième point penche sur les principaux défis en matière de stabilisation en RDC.
I. BREF APERÇU DU CONTEXTE
L’évolution de la situation sécuritaire actuelle en République démocratique du Congo, particulièrement au Nord-Kivu avec les récentes tueries survenues à Beni, affiche un tableau à la fois sombre et dramatique, lequel a atteint le seuil du tolérable. L’on pourrait arriver à peindre ce tableau à l’image d’une phrase en lingala tirée d’une chanson d’un musicien congolais : « TO ZA NA SYSTEME YA LIFELO. MOTO EZO PELA, KASI TO ZO ZIKA TE ».
En avril 2012, à l’occasion de la publication du rapport « République démocratique du Congo : prendre position sur la réforme du secteur de sécurité », nous avions entrepris une tournée internationale de plaidoyer dans les grandes capitales occidentales (Washington, New York, Paris, Berlin et Bruxelles) pour exhorter la Communauté Internationale de privilégier la réforme du secteur de sécurité, dans son appui à la RDC. Car, l’aide publique au développement risque de se révéler un « gaspillage » et n’avoir aucun impact, si la réforme du secteur de sécurité n’est pas inscrit et entendue par tous comme une priorité.
En effet, la Communauté Internationale a consenti de très importants investissements en République démocratique du Congo, depuis la fin de la transition d’après-guerre. Depuis cette période, l’aide publique au développement remonte à plus de 14 milliards de dollars américains . Le financement externe – quant à lui – représente près de la moitié du budget annuel de la RDC . Le coût de la mission de l’ONU, chargée du maintien de la paix en RDC, la MONUSCO, s’élève à plus de 1 milliard de dollars américains par an . Les institutions financières internationales ont appuyé l’économie de la RDC, les plus importantes de ces initiatives ayant consisté à annuler 12,3 milliards de dollars de dette et à faire accéder le pays aux crédits du Fonds Monétaire International. Au chiffre total de ce type de soutien se sont encore ajouté différents accords commerciaux, notamment celui conclu avec la Chine .
Malgré ces pas franchis, la population congolaise continue de vivre dans une pauvreté inégalable. Les investissements n’ont que peu concouru à transformer l’existence du Congolais ordinaire.
Le pays occupe aujourd’hui l’avant-dernière place dans le classement mondial du PNUD, concernant l’indice de développement humain 2014, se positionnant 186ème sur 187 pays .
Nonobstant des légères améliorations, l’espérance de vie et la mortalité infantile sont très en-deçà de la moyenne régionale. Le revenu national par habitant s’élève à moins de 50 cents par jour . La RDC ne va remplir aucun de ses Objectifs du Millénaire pour le Développement. 1,7 million de Congolais sont déplacés , et 500.000 sont réfugiés à l’extérieur de leur pays . Dans l’est du pays se profilent des signes préoccupants de résurgence de conflit. La population congolaise continue de souffrir.
Des milliards de dollars dépensés n’ont pas apporté un changement dans le social du congolais parce que la situation sécuritaire est volatile et fragile. Pour pouvoir y remédier, la Réforme du Secteur de Sécurité constitue la clef de voûte, car sans réforme du secteur de sécurité, le développement économique et social n’est pas possible.
En réponse à cette situation, et pour pouvoir trouver une solution durable à la crise que connaît la RDC, l’un des plus importants de tous les traités auxquels la RDC a adhéré, a été signé en date du 24 février 2013, à Addis-Abeba [Ethiopie], sous la dénomination de «Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération en RDC et dans la région ». Ce document a été salué par tous, comme un Accord de l’espoir.
De cette manière, l’on serait d’avis avec le Président angolais, Edouardo Do Santos lorsqu’il dit : « …Plus que d’adopter simplement des décisions, il est important de les exécuter », car, « les décisions ne doivent être justifiées que si elles sont mises en pratique et donnent de bons résultats… ».
En juin 2012, le Conseil de Sécurité a par sa résolution 2053 (2012) confié un mandat robuste à la MONUSCO en mettant en priorité l’appui au Gouvernement Congolais en matière de réforme du secteur de sécurité. Et depuis lors, plusieurs résolutions du Conseil de sécurité qui s’en sont suivies classent au centre du mandat de la MONUSCO, la question de réforme du secteur de sécurité ?
Dès lors, la question qu’il convient de se poser est de savoir ce que le MONUSCO a pu faire du mandat lui confié par le Conseil de Sécurité en matière de Réforme du Secteur de Sécurité.
II. QUELQUES POINTS D’ATTENTION SUR LA NATURE DE L’APPUI DE LA MONUSCO EN MATIERE DE RSS
Honnêtement nous serons très négativiste et tendancieux si l’on disait que la MONUSCO n’avait rien fait. La MONUSCO a eu à faire un certain nombre d’efforts. Déjà en créant au sein de son organisation une section chargée de Réforme du Secteur de Sécurité, prouve qu’elle n’a pas pris à la légère cette question.
Ainsi l’on reconnait la pertinence des efforts fournis par la MONUSCO en matière de Réforme du Secteur de Sécurité en appui au Gouvernement congolais, mais l’on souligne également que ceux-ci restent extrêmement limités et, de surcroît, insuffisamment coordonnés.
La résolution 2147 (2014) du 28 mars 2014, en décidant de proroger le mandat de la MONUSCO jusqu’au 31 mars 2015, ne vient que renforcer et compléter la résolution 2098 (2013) du 28 mars 2013 qui assigne un important cahier des charges à la MONUSCO sur les aspects liés à la protection des civils, la neutralisation des groupes armés par la Brigade d’intervention, la surveillance de la mise en œuvre de l’embargo sur les armes, l’appui aux procédures judiciaires nationales et internationales, l’appui au processus de réforme du secteur de sécurité et de la réconciliation nationale.
S’il convient d’admettre quelques progrès dans l’accomplissement de ces diverses tâches, comme cela ressort dans le rapport du Secrétaire général sur la MONUSCO au Conseil de Sécurité, rendu public le 17 décembre 2013, les organisations de la Société civile sont d’avis que l’appui en mode « Urgence » auquel il est actuellement recouru dans le cadre de la traque contre les groupes armés pourrait avoir pour conséquence d’occulter les problèmes de fond qui se posent à la réforme du secteur de sécurité, particulièrement concernant les forces armées.
La MONUSCO devrait d’urgence prioriser, avec la collaboration du gouvernement, l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan cohérent, structuré et coordonnée pour la réforme des forces armées conformément à son mandat.
Il faut rappeler qu’en vertu de la résolution 2098 (2013) le Représentant Spécial du Secrétaire Général de l’ONU en RDC a reçu mandat d’engager de bons offices en matière de la réconciliation nationale à l’issue d’un dialogue ouvert à toutes les parties prenantes en RDC, d’encourager les autorités congolaises à s’approprier davantage et avec diligence la réforme du secteur de la sécurité, notamment en élaborant et en appliquant en toute urgence une stratégie nationale pour la mise en place des institutions judiciaires et de sécurité efficaces et de jouer un rôle directeur dans la coordination de l’appui à la réforme du secteur de sécurité fourni par les partenaires internationaux et bilatéraux et par le système des Nations Unies .
L’on note à la lecture de la Résolution le rôle directeur que se doit de jouer la MONUSCO dans la coordination de l’appui à la réforme du secteur de sécurité. Force est pour nous de constater que l’accomplissement de ce rôle capital peine à se réaliser si bien que la Mission onusienne semble plus se refugier derrière des discours épinglant l’absence d’une feuille de route ou d’un plan à élaborer par les autorités congolaises.
Rien n’indique à ce stade que la MONUSCO a effectivement apporté conseils et appui au Gouvernement en vue de l’élaboration d’une feuille de route claire et globale pour la réforme du secteur de sécurité, comprenant notamment des critères de référence et des échéanciers pour la mise en place d’institutions de sécurité efficaces et responsables.
III. LES DEFIS DE LA STABILISATION EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO
Avant de pouvoir plancher sur les défis de la stabilisation, il nous paraît logique de nous mettre d’accord sur l’entendement que nous nous faisons du mot « stabilisation ». Pour beaucoup d’analystes, le concept stabilisation reste un concept mal défini et constitue depuis 2009 le terme utilisé tant par le Gouvernement Congolais que par les partenaires internationaux pour évoquer les différentes priorités identifiées pour sortir de la crise.
L’objet de notre propos, sur ce point, n’est pas de nous attarder sur les « querelles » d’ordre terminologique de la stabilisation, car en ce domaine, les spécialistes en la matière tombent paradoxalement d’accord dans leur désaccord.
Nous prendrons ici, pour le compte de cette communication, cette définition qui nous paraît la plus claire possible. Elle est empruntée de la Stratégie Internationale de Soutien à la Sécurité et Stabilisation (I4S) révisée en 2013.
Selon cette définition, la notion de stabilisation désigne un processus visant à renforcer la confiance et la légitimité mutuelles entre l’État et la société pour qu’ils puissent résoudre ou atténuer ensemble différents types de conflits. Ce processus repose sur une double approche : du haut vers le bas (Top-down) – permettant à l’État de remplir ses obligations –, et du bas vers le haut (Bottom – up) – donnant aux populations les moyens nécessaires afin que l’État lui soit redevable.
Cette définition ainsi donnée nous permet mieux analyser les principaux défis de la stabilisation en RDC.
Plusieurs défis sont à noter en matière de stabilisation. Ils sont liés :
• A l’approche à mettre en œuvre en matière de stabilisation;
• A la stabilité de l’instabilité ou tout simplement à l’instabilité chronique ;
• Au style de gouvernance ;
• A la faiblesse de l’appropriation locale ;
• A la concentration géographique des appuis en matière de stabilisation ;
• A la lourdeur bureaucratique des agences d’exécution ;…
a. Défis liés à l’approche à mettre en œuvre en matière de stabilisation
Pour plusieurs observateurs et experts de la question, une partie du problème sur les programmes en matière de stabilisation est qu’ils proposent des solutions purement techniques à des problèmes profondément politiques . A ce titre, la Communauté internationale dont notamment la MONUSCO, a dans une certaine mesure choisi d’éviter de s’impliquer dans des questions sensibles sur le plan politique auprès des autorités qui, quant à elles, cherchent à réduire au maximum l’implication des partenaires internationaux dans leurs affaires politiques intérieures.
Une éthique d’intervention technocratique ne peut pas faire espérer une transformation en profondeur, car elle a tendance à s’attaquer de manière souvent superficielle aux conséquences des problèmes plutôt qu’aux causes, à faire du simple pansement d’une plaie au lieu de la soigner.
b. Défis liés à la stabilité de l’instabilité ou à l’instabilité chronique
La défaite de la rébellion du M23 ainsi que le lancement de l’opération « SOKOLA 1 » ont suscité des espoirs dans le processus du rétablissement de paix et de la restauration de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire national au sein de l’opinion publique congolaise.
Les organisations de la société civile craignent l’enlisement de la situation sécuritaire suite notamment à l’extension de l’activisme des milices au-delà de la zone couverte par le mandat de la Brigade d’intervention, notamment dans la Province du Katanga où les miliciens Bakata Katanga deviennent de plus à plus actifs avec probablement la complicité de certains acteurs politiques et militaires originaires de cette Province, les affrontements interethniques (Hunde-Hutu-Tutsi) dans le Territoire de Masisi par milices interposées , la situation volatile dans le District de l’Ituri suite à l’activisme des miliciens du Front Patriotique et Révolutionnaire de l’Ituri de Bana Loki alias Cobra Matata et le Maï-Maï Simba de Shadala alias Morgan, entrainant un drame humanitaire et des épidémies de tous genres, particulièrement dans le triangle dit de la mort compris entre les localités de Mitwaba, Pweto et Manono ainsi que le centre de la Province du Katanga.
Les récentes tueries à BENI dans la province du Nord-Kivu posent des inquiétudes sérieuses quant à l’enlisement de la situation sécuritaire.
c. Défis liés à la forte concentration géographique des appuis en matière de stabilisation
La tendance à ne s’occuper que de la partie orientale du pays laisse occulter les autres parties du pays en proie à des conflits divers. Les conflits opposant les membres des communautés Ngwaka et Ngbandi en Equateur autour de la gestion des étangs, les conflits fonciers qui pullulent dans plusieurs agglomérations du pays et l’incertitude sur le sort du Général autoproclamé John Tshibangu dans le Kasaï, sont autant des situations qui appellent une implication rigoureuse des autorités nationales avec le concours des organisations de la société civile impliquées dans la prévention et la résolution des conflits.
d. Défis liés au style de gouvernance
Dans tout pouvoir non contrôlé, gisent en effet les germes de l’autoritarisme. Dans un pays où la culture de reddition de compte est encore à rechercher, où le contrôle parlementaire du secteur de sécurité n’est pas ressenti et pose problème, le plan de stabilisation qui se doit d’accorder une attention spéciale à la RSS pourrait être assis sur des bases fragiles.
e. Défis liés à la faiblesse de l’appropriation locale
Sans appropriation locale, le plan de stabilisation quelle que soit sa pertinence, est voué à l’échec. L’impératif de l’appropriation locale est autant une question de respect qu’une nécessité pratique. Le principe est que les réformes qui ne sont pas conçues et promues par les acteurs locaux ont peu de chances d’être correctement appliquées et de perdurer .
Le plan de stabilisation de la RDC s’est caractérisé, selon certains rapports d’évaluation, par un manque d’appropriation de la part des acteurs congolais , bien que pour certains, ce manque de consultation serve davantage d’excuse pour ne pas s’engager dans les réformes allant à l’encontre de certains intérêts.
f. Défis liés à la lourdeur bureaucratique des agences d’exécution
La lourdeur bureaucratique des agences d’exécution a parfois réduit l’efficacité des programmes de stabilisation. Par exemple, lors de la première phase de financement I4S, les financements étaient ouverts aux seules agences onusiennes, d’autres agences dont la spécialisation aurait apporté une contribution spéciale se retrouvant donc exclue. Cette disposition a déjà été modifiée.
QUE DIRE POUR CONCLURE ?
Rien.
Par Emmanuel KABENGELE KALONJI
Coordonnateur National

 

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A propos de l'auteur : Adeline Marthe