(RRSSJ)
La Police Nationale Congolaise [PNC] est en plein processus de réforme, amorcé depuis une décennie. Un des principes qui guident cette réforme, particulièrement en ce qui concerne la mise en œuvre de la doctrine de Police de Proximité, c’est la redevabilité.
Si, au sens beaucoup plus large, la redevabilité signifie l’action de « rendre compte », ce même concept – au sein de la Police Nationale Congolaise – revêt un caractère à la fois d’autodiscipline et de gouvernance.
« L’Etat met à la disposition de la Police Nationale les biens meubles et immeubles nécessaires à son fonctionnement » – Article 83 de la Loi organique n°11/013 du 11 août 2011 portant organisation et fonctionnement de la Police Nationale Congolaise. En d’autres termes, c’est le peuple congolais qui, au travers les impôts et autres contributions, permet à la Police Nationale d’être dotée en uniforme et en équipements…
« Les équipements s’entendent de l’ensemble des moyens matériels mis à la disposition de la Police Nationale à l’effet d’accomplir ses missions » – Article 82 de la Loi organique.
La question est de savoir si l’usage de ses équipements, précisément les matériels roulants, est exclusif à l’accomplissement des missions de la Police ? Malheureusement, le constat sur terrain prouve le contraire…
Le 19 avril 2013, Monsieur Richard MUYEJ, alors Ministre de l’Intérieur, Sécurité, Décentralisation et Affaires Coutumières, fut invité par la Commission Défense et Sécurité de l’Assemblée Nationale pour s’expliquer sur l’état d’avancement de la mise en œuvre de la réforme de la Police Nationale, en s’appesantissant un peu plus sur le cadre légal et réglementaire, notamment les lois et textes en souffrance.
Le Ministre en avait profité pour parler des véhicules nouvellement remis à la Police… Un motif de fierté et d’autosatisfaction !Mais, grande fut sa surprise de regarder une photo récente sur tablette, prise par un Député élu de Buta [Province Orientale], montrant un des pick-up auxquels il faisait allusion, déjà suspendu sur des morceaux de pierre, dépouillé de pneus… Cette image renvoie à la triste réalité au sein de la Police Nationale Congolaise où, faute d’avoir intériorisé la notion de redevabilité, l’usage des équipements par certains cadres, services ou policiers fait penser qu’il n’existe pas un système ou mécanisme interne de suivi et de contrôle.
Dans certains endroits, surtout à l’arrière-pays, les véhicules et les motos de la PNC sont devenus pratiquement des « propriétés privées » des Commandants qui les affectent à multiples usages, voire dans le transport en commun : par exemple pour évacuer les stocks de braise, de maïs ou de manioc appartenant à des tiers.
Aussi, les « courses familiales » du Commandant se font parfois avec le véhicule de la Police, au vu et au su de tout le monde : déposer les enfants à l’école, accompagner l’épouse au marché, etc. La plupart des cadres et agents de la PNC justifient ce comportement par le fait qu’ils « se débrouillent » souvent seuls pour assurer l’approvisionnement en carburant et lubrifiants de ces engins… y compris la prise en charge des petites pannes qui surviennent…
Des cas de « récupération » – par le Commandant – d’un véhicule ou d’une moto remis à tel ou tel autre service, souvent par les partenaires techniques et financiers, sont parfois signalés ça et là. C’est ce qui est arrivé dans les provinces-pilotes du Programme SSAPR [Security Sector Accountability and Police Reform], appuyé par la Coopération britannique.
Renforcer le contrôle
De tout ce qui précède, il y a nécessité de renforcer le contrôle ; surtout pour amener les policiers et les services de la Police à utiliser les matériels/équipements à bon escient, en « bons pères de famille ». En plus d’un mécanisme interne clair de gestion des matériels, équipements et infrastructures, les stratégies suivantes peuvent efficacement contribuer au renforcement du contrôle au sein de la PNC :
1° La stricte observance des lois et textes réglementaires
Il est souhaitable que les lois et textes réglementaires relatifs à la réforme de la Police soient largement vulgarisés et disséminés au sein de la PNC. La Société Civile qui avait assuré l’observation participative de l’opération collecte de données du policier, a pu constater qu’il y a un déficit criant d’information sur la réforme en cours, même au niveau des cadres de la Police Nationale… Une des mesures d’application de la Loi organique portant organisation et fonctionnement de la Police Nationale Congolaise concerne justement le Décret du Premier ministre déterminant les équipements de la PNC [article 82 de la Loi organique].
A l’instar d’autres textes de loi en souffrance, ce décret n’est pas encore pris, quatre ans après la promulgation de la Loi organique !
2° L’intériorisation de la notion de redevabilité
La police doit se sentir redevable et agir en conséquence. Cette notion de redevabilité doit être de mise à tous les niveaux et intégrée même dans la formation de base du policier. Il suffit, pour cela, que le Parlement, par Commissions spécifiques interposées, agisse auprès du Ministre ayant la Police Nationale dans ses attributions. Appelé à faire régulièrement l’état des lieux des matériels remis à la Police, ce dernier se sentira certainement obligé de « secouer », à son tour, le Commissaire Général de la Police Nationale Congolaise et ainsi de suite…
3° Le rôle de l’Inspection Générale de la Police Nationale Congolaise [IG-PNC]
L’efficacité de l’Inspection Générale de la PNC dépend, en majeure partie, de la façon dont elle accomplit sa mission de contrôle, d’audit, d’enquête et d’évaluation des services de la Police Nationale…
Pour sa part, l’Inspecteur Général a pour mission de veiller à l’application stricte – par le personnel de la Police Nationale – des lois et règlements de la République, des directives et instructions relatives au bon fonctionnement de celle-ci… [Article 49 de la Loi organique]. Ce qui sous-entend le contrôle de gestion rationnelle des ressources matérielles mises à la disposition de différentes unités et services de la PNC.
Selon l’article 175 de la Loi n°13/013 du 1er juin 2013, portant Statut du personnel de carrière de la Police Nationale, « La sanction disciplinaire consiste à réprimer tout comportement déviant du policier… ». L’Inspection Générale a donc un rôle prépondérant à jouer, dans le cadre de l’intégration et de l’intériorisation de la notion de redevabilité au sein de la Police Nationale, particulièrement en ce qui concerne la gestion des matériels roulants et autres équipements.
Ses observations et recommandations devront puiser absolument dans le « régime disciplinaire » en vigueur ; non seulement pour servir d’exemple mais aussi pour favoriser/encourager une redevabilité imbibée d’autodiscipline et de gouvernance !
Clovis KADDA
Enseignant en Droits de l’Homme
Expert en DDR [Désarmement, Démobilisation et Réinsertion]
Kinshasa – RDC