(Mediacongo.net)
Et s’il y avait un troisième mort dans l’affaire Chebeya ? C’est en tout cas ce que prétend l’ancien chauffeur du principal accusé. Une « manipulation », dénonce la défense alors que les parties civiles demandent à la justice de diligenter une enquête pour faire la lumière sur ces nouvelles révélations. Décryptage.
Cinq ans après l’assassinat de Floribert Chebeya, défenseur des droits de l’homme et président de l’ONG congolaise La Voix des sans voix (VSV), un élément nouveau vient s’ajouter dans l’instruction de l’affaire en appel par la Haute cour militaire de la RD Congo. Il existerait, selon Kalala Kalao, l’ancien chauffeur du principal accusé, une troisième victime. Jusqu’ici pourtant, toute la procédure enclenchée depuis 2010 se focalisait sur deux morts (Floribert Chebeya et son collègue, Fidèle Bazana, dont le corps n’a toujours pas été retrouvé).
Que dit réellement le témoignage de Kalala Kalao ?
Depuis le 9 juillet, la Haute cour militaire tente de démêler le vrai du faux dans les nouvelles révélations de l’affaire Chebeya. À en croire Kalala Kalao, chauffeur du colonel Daniel Mukalayi, le principal accusé, au moment des faits, un policier qui s’appellerait Kabongo aurait également été tué le même jour que les deux défenseurs de la VSV.
L’infortuné se serait retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment : il aurait vu l’exécution de Floribert Chebeya et de Fidèle Bazana. « Un témoin gênant » qui aurait été à son tour exécuté et son corps jeté dans le fleuve Congo, selon la déposition de Kalala Kalao, laquelle atteste également de la présence de Floribert Chebeya à l’Inspection générale de la police avant sa disparition. Ce que le colonel Daniel Mukalayi, condamné à mort en première instance, a toujours contesté.
« Lors des révélations de Kalala Kalao, tout le monde – parties civiles, avocats de la défense, magistrats, public – est resté perplexe », se souvient un journaliste local présent au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa, connu sous le nom de la prison de Makala, où se tiennent les audiences en appel de l’affaire Chebeya. « D’autant qu’il n’a pas vu ce troisième mort, il aurait simplement entendu des policiers qui auraient participé à l’assassinat des deux défenseurs des droits humains s’enorgueillir d’avoir tué trois personnes », ajoute-t-il.
Un pas vers l’éclatement de toute la vérité ?
Joint au téléphone par Jeune Afrique, Dolly Ibefo, directeur exécutif de la VSF, estime pour sa part que « ces nouvelles révélations devraient aider la Haute cour militaire à faire éclater toute la vérité » dans l’affaire Chebeya. Il souhaiterait que la justice congolaise « diligente une nouvelle enquête pour vérifier les affirmations du chauffeur Kalala Kalao ».
Nous nous sentons confortés dans notre version des faits »
En attendant, « nous nous sentons confortés dans notre version des faits parce que le chauffeur du colonel Daniel Mukalayi a également indiqué que Floribert Chebeya s’était bien présenté à l’Inspection générale de la police quelques heures avant qu’on le retrouve assassiné sur la banquette arrière de sa voiture », ajoute Dolly Ibefo. Selon les parties civiles, « les autorités policières [seraient] impliquées dans l’assassinat de Floribert Chebeya et de Fidèle Bazana ». Allusion faite à l’implication présumée du général John Numbi, alors numéro un de la police congolaise au moment des faits.
« Nous nous approchons de plus en plus de l’éclatement de la vérité », abonde dans le même sens Me Jean-Joseph Mukendi wa Mulumba, président du Collectif pour la défense des parties civiles dans l’affaire Chebeya. Pour cet ancien bâtonnier du barreau de Kinshasa, « les révélations de Kalala Kalao se rapprochent et se recoupent avec celles de Paul Mwilambwe [policier congolais, aujourd’hui inculpé au Sénégal, qui affirme avoir assisté à l’assassinat des deux défenseurs, ndrl] qui parlaient déjà de l’existence de plusieurs victimes ».
Risques de manipulations ?
Du côté de la défense, on crie à la « manipulation ». « Les déclarations sur l’existence du troisième mort n’engagent que son auteur, elles n’ont aucun impact sur mes clients », tance Me Jean-Marie Kitwanga Luhanga, l’un des avocats du colonel Daniel Mukalayi. « D’autant qu’il n’est pas un témoin mais juste un renseignant appelé à la Cour pour donner des éléments pouvant élucider l’affaire », ajoute-t-il.
Les parties civiles tentent de manipuler l’ancien chauffeur du principal accusé
« Il apparaît évident que les parties civiles tentent de manipuler l’ancien chauffeur qui était proche de notre client pour asseoir leur accusation », accuse Me Jean-Marie Kitwanga. Et pour preuve, l’avocat de la défense prétend détenir un enregistrement sonore dans lequel l’on entendrait l’auteur de ces nouvelles révélations tenter de convaincre le « domestique du colonel Daniel » de témoigner contre son patron, en échange de 100 000 (francs congolais ou dollars américains, la monnaie n’aurait pas été indiqué dans la conversation entre les deux hommes) et d’une maison.
Mais pour l’instant, cet élément n’a pas encore été versé au dossier. Les parties civiles le réclament, mais c’est la Cour qui n’a pas encore accepté que l’enregistrement soit déposé, à en croire la défense.