Les Organisations de la Société Civile de la République démocratique du Congo ont un rôle prépondérant à jouer dans l’actuelle législature. Elles doivent approfondir, comme il se doit, la réflexion sur le contrôle parlementaire pour les cinq ans du présent mandat.
C’est un secret de polichinelle, une des grandes faiblesses de l’Assemblée Nationale passée, c’était sans doute la non intériorisation de la culture de redevabilité ainsi qu’une absence criante de suivi et de contrôle des actions du gouvernement.
Au risque de retomber à nouveau dans l’usure du pouvoir, caractérisée notamment par l’ascendance – mieux la mainmise – de fameuses « Autorités morales » sur les Députés nationaux, il est plus que temps que les Organisations de la Société Civile pensent déjà aux mécanismes et stratégies de mobilisation communautaire pour [si pas contrer] décourager la pratique/politique de « Mot d’ordre/consigne » au sein du Parlement.
Pour ce faire, un travail de fond devra se faire au sein des communautés de base des centres urbains et des localités secondaires du pays. Point n’est besoin de souligner que ce sont ces communautés de base qui constituent le fief électoral des Députés nationaux.
Il y a trois à quatre vacances parlementaires par an. Il suffit de bien encadrer les populations que les Organisations de la Société Civile sont censées accompagner dans leurs actions de terrain, pour que celles-ci [communautés] apprennent à demander des comptes à leurs élus, chaque fois qu’ils reviendront vers elles.
Suivre les prestations des Parlementaires
A l’aide d’une grille simplifiée d’évaluation, des leaders communautaires, les regroupements des femmes et des jeunes devront être à même de distribuer des cotes à leurs Députés [nationaux et provinciaux]. L’idée c’est de démontrer aux Parlementaires actuels que la donne a changé, le peuple est devenu très regardant, éveillé et que leurs prestations sont désormais suivies, à la loupe.
Le fallacieux prétexte, souvent brandi, c’est que l’essentiel du travail parlementaire se fait au sein des commissions. Ceci étant, tout en restant branchées sur les plénières, les Organisations de la Société Civile pourraient négocier le statut d’observateur auprès des Commissions stratégiques et y être actives [Commissions Défense et Sécurité, Politico-Administrative et Juridique, Economique-Financière et Contrôle budgétaire, Socio-culturelle…]. Une telle démarche permettrait, non seulement de se faire des alliés en vue du lobbying législatif, mais aussi d’apprécier les efforts individuels et/ou collectifs des Députés.
Face à des populations mieux informées, sensibilisées et exigeantes vis-à-vis de leurs élus, le contrôle parlementaire pourrait prendre corps en RDC et – en guise de couronnement – la redevabilité des acteurs publics une réalité !
Des exemples africains d’engagement pour le changement
Deux exemples africains d’engagement de la Société Civile pour le changement peuvent inspirer le mouvement associatif congolais : il s’agit d’Y’en a Marre [Sénégal] et Ballet Citoyen [Burkina Faso].
Le fait de s’être battu pour la chute d’Abdoulaye WADE n’a pas empêché Y’en a Marre de suivre, pas à pas, les actions du Président Macky SALL.
C’est surtout grâce au Ballet Citoyen que Blaise COMPAORE fut contraint de lâcher du lest. Par la suite, pour mieux surveiller la période de transition, ses membres avaient décliné l’offre d’entrer au gouvernement. Et, jusqu’à ce jour, le Président Roch Marc Christian KABORE est pratiquement dans l’œil du cyclone : il réalise de plus en plus qu’il y a des femmes et des hommes qui le suivent à lettre et veillent au grain…
C’est ainsi que Y’ en a Marre et Ballet Citoyen aiment et aident leur pays !
En République démocratique du Congo, le « fanatisme » l’emporte malheureusement chez certains acteurs de la Société Civile, sur l’engagement citoyen. On emploie même des subterfuges pour justifier la réconciliation [synonyme d’impunité ?] prônée par le Président Félix-Antoine TSHISEKEDI, la marche [visiblement à reculons] proposée par le nouveau pouvoir, etc.
C’est ici l’occasion de saluer l’élan pris par l’Eglise du Christ au Congo [ECC] visant à fédérer les efforts des Organisations de la Société Civile et des Confessions religieuses, dans l’accompagnement des politiques publiques en RDC.
Savoir anticiper
La force des acteurs de la Société Civile réside surtout dans leur habileté à anticiper sur les événements plutôt que de les subir.
La proposition des réformes ne doit pas être l’apanage des seuls acteurs politiques.
A titre exemplatif, la RDC vient de vivre un « chaos électoral », avec une majorité parlementaire en flagrante contradiction avec le rejet du Front Commun pour le Congo [FCC] à la présidentielle. Des fraudes et des cooptations avérées !
Question : que fait la Société Civile, en amont, pour s’assurer que les 15 Députés nationaux manquants soient ceux réellement élus à Yumbi, Butembo et Beni ? Quelles dispositions demande-t-elle aux populations locales de prendre pour empêcher que leur vote ne leur soit « volé »?
En plus, le système électoral congolais a montré ses limites. Il revient donc à la Société Civile, pendant qu’il est encore temps, de prendre le devant [anticiper] en réclamant, avec des propositions concrètes sous la main, la ré visitation de la Constitution [tout en préservant l’article 220], de la loi électorale et autre :
1) L’élection présidentielle à un seul tour est une très mauvaise
chose : la RDC a maintenant un Président de la République élu par
un dixième [1/10] de sa population, soit 8 des 80 millions ;
2) Aux obsèques de l’immortel Pierre NDAYE Mulamba, le gouvernement
a promis des passeports diplomatiques aux anciens Léopards [1968
et 1974], présentement récipiendaires d’une deuxième nationalité.
Or, des citoyens furent jetés en prison ou poursuivis pour
détention de double nationalité. D’où la nécessité de résoudre,
in toto, l’épineuse question d’une nationalité congolaise qui
« ne peut être détenue concurremment avec aucune autre » –
article 10 de la Constitution de la RDC.
3) La réforme en cours parle d’une Police service public [le
policier est un civil] alors que les agents de la Police
Nationale sont justiciables devant les
juridictions militaires
[article
156 de la Constitution de la RDC]…
4) Un pays qui privilégie l’ » intérêt supérieur de l’enfant «
n’entretient pas inutilement la confusion lorsqu’il doit dire non à
l’utilisation des » enfants soldats « . Contrairement à l’article 71
de la Loi portant Protection de l’Enfant […L’enrôlement et
l’utilisation des enfants dans les forces et groupes armés ainsi
que dans la Police sont interdits…], la Constitution de la RDC
parle plutôt de « … jeunesse
armée… » – Article 190. Enfance et
jeunesse sont deux concepts distincts!
En République démocratique du Congo, il y a lieu de se débarrasser de ces trois tares qui empêchent de voir les choses autrement, telles que vues par d’autres/extérieur :
1. La cécité : on ne voit pas, ou on fait semblant de ne pas voir
les antivaleurs qui couvent çà et là…
2. L’accoutumance : ça toujours été ainsi [en Lingala : ezalaka kaka
boye ou tomesana na biso !]. Or, LARMATINE disait « Quand on
commence à trouver les choses toutes naturelles, c’est que l’on
cède à l’habitude… A l’abri du tout naturel, on ne se pose plus
de questions, on bloque la curiosité et l’on s’endort »…
3. La résignation : Dieu pourvoira ; le Congo appartient à Dieu [en
Lingala : Nzambe akosala ; Congo eza ya Nzambe].
Quelle prétention ?
Clovis KADDA
Enseignant en Droits de l’Homme
Expert en DDR [Désarmement, Démobilisation et Réinsertion]
Kinshasa – RDC