La presse, la Police Nationale Congolaise et la présomption d’innocence en République démocratique du Congo

Le principe de présomption d’innocence est pratiquement foulé au pied par une certaine presse et la Police Nationale de la République démocratique du Congo. Le travail en synergie ainsi que la complémentarité entre ces deux institutions sont loin de rencontrer le sentiment de tous, du moins des esprits avisés : les droits et libertés fondamentales des citoyens sont bafoués, l’égalité devant la loi et le droit à une égale protection des lois prônés par l’article 12 de la Constitution de la République démocratique du Congo ne sont pas observés.

La présomption d’innocence, telle qu’entendue actuellement, se fonde sur l’article 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui stipule que « Toute personne accusée d’un acte, délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ». En d’autres termes, c’est le principe selon lequel toute personne qui se voit reprocher une infraction est réputée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement et définitivement établie.

Malheureusement, c’est souvent le contraire qui se produit à Kinshasa, la capitale où la Police Nationale et certains médias sont plutôt rongés par la « kinoiserie ».Or, par définition, la « kinoiserie » reflète plus de bassesses/antivaleurs que de valeurs à promouvoir. Le même constat se fait aussi en provinces.

D’une part, ce sont les commandants des commissariats et des sous-commissariats qui tiennent mordicus d’être vus à la télévision, ou d’être suivis à la radio. La population mêmement. D’autre part, des médias se complaisent de couvrir des faits divers : des « chiens écrasés », sans pour autant se conformer à l’éthique, à la déontologie. Bref, à la loi !

Un véritable cercle vicieux :

1) à moindre arrestation d’une personne suspectée de telle ou telle infraction, c’est la Police Nationale qui appelle les médias : bien avant même que le suspect ne soit entendu par un Officier de Police Judiciaire (OPJ) qui doit établir les faits ;

2) si ce n’est pas la Police, c’est la population elle-même qui agit et contacte immédiatement la presse ;

3) les médias débarquent en trombe (en particulier la télévision) et, sans gêne, prennent carrément la place du Commissaire de Police en soumettant la personne appréhendée à un interrogatoire (parfois musclé) : on l’oblige de force à fixer la caméra, d’avouer le tort pour lequel elle est interpellée, de ne donner que des réponses qui plaisent à l’interrogateur, etc.

Le but de cette réflexion n’est pas de soutenir ou d’encourager les hors la loi, les fauteurs de trouble et autres inciviques. Bien au contraire, c’est un rappel à l’ordre pour que la Police Nationale et la presse respectent les lois du pays ! Il ne suffit pas simplement de crier au voleur, au sorcier ou au « Kuluna » pour que le suspect soit montré à la télévision. La loi ne reconnait le pouvoir de rendre justice qu’aux seuls cours et tribunaux !

Trop de « kinoiserie » à la télévision !

L’inversion des valeurs veut que, à Kinshasa et partout ailleurs dans le pays, ce sont les médias qui puisent plus dans la « kinoiserie » qui sont plébiscités par des pseudo-maisons de sondages comme étant les plus suivis (les meilleurs). Ceux-ci s’enorgueillissent et s’embourbent davantage dans la violation des droits fondamentaux des citoyens, notamment le respect de la vie privée, hermétiquement protégée par l’article 31 de la Constitution de la République démocratique du Congo.

A Kinshasa, certaines chaînes de télévision excellent en mal dans ce domaine, à travers l’émission des tranches fourre-tout dont l’objectif s’écarte dangereusement de la mission de la presse : celle d’informer et de former les masses.

De leur côté, les Commandants de certains commissariats et sous –commissariats de Kinshasa se font visiblement la concurrence, par médias interposés… Tous les moyens sont alors bons pour voler la vedette aux uns et autres. Pour y parvenir, ils « fabriquent » parfois des délinquants : des gens qu’ils arrêtent sans preuve ni motif valable, qu’ils torturent, avant d’appeler la télévision qui, non seulement va leur donner une énième occasion d’être vus et connus dans la ville comme étant les « meilleurs policiers », mais aussi d’exposer leur « proie » !

Les médias dont il est question, en voulant absolument faire du sensationnel, naviguent à contre courant et s’en prennent à tout le monde. Pire, ils exposent des personnes nécessitant des mesures spéciales de protection tels que les enfants, les vieillards, les personnes vivant avec handicap, les retardés mentaux et tutti quanti.

Pour preuves :

a) des personnes de troisième âge, notamment des vieilles dames, sont montrées à la télévision comme étant des « sorciers qui n’ont pas pu regagner le domicile avant l’aube » ;

b) les démêlés d’un couple de malentendants (autrefois appelés sourds-muets) ont été gracieusement balancés au petit écran…

Contrairement à la sagesse africaine/congolaise qui veut qu’on respecte la mère ou le père d’autrui : pas pour ses cheveux blancs mais pour ses propres parents d’abord, les organes de presse susmentionnés propagent plutôt la culture de moquerie/raillerie et tentent de l’inculquer dans la tête des tout petits, à travers des cris frisant l’immoralité… Quelle leçon le public peut-il tirer d’une « dispute de routine » dans un foyer de malentendants ? Quelle peut être la finalité de la diffusion des images d’une vieille dame suspectée de sorcellerie parce que surprise nue quelque part ? Pour ce dernier cas, rien n’exclut logiquement la possibilité que cette vieille dame soit une somnambule ou victime de troubles psychosomatiques.

Ceci étant, il revient plutôt au présentateur de l’émission – en vrai professionnel – de tirer ce genre de conclusion, question d’éduquer les téléspectateurs. Pour des infractions de coups et blessures volontaires, vols à main armée, accident de circulation, les avis des personnes interrogées par les médias susvisés réclament parfois la « peine capitale », sans froid aux yeux. De tels propos peuvent être mis dans le panier de l’ignorance d’une grande partie de la population congolaise, en matière de loi et de justice. Il revient au professionnel des médias de dégager des leçons à retenir, à la fin de sa prestation, en vue de permettre au public de comprendre par exemple que la République démocratique du Congo a opté pour l’abolition de la peine de mort et que tout pays qui se dit respectueux des droits humains ne peut plus envisager l’application d’une telle peine.

Les déhanchements d’un garçon en état d’ébriété, après avoir ingurgité l’alcool communément appelé « Supu na tolo », a même fait l’objet de générique diffusé par une chaîne de télévision de Kinshasa, diffusé en longueur des journées.

Aucun adulte responsable ne peut tolérer qu’un enfant affiche un tel comportement, en prenant de l’alcool. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour maintenir une telle image et la diffuser journellement !

La Loi portant Protection de l’Enfant, promulguée le 10 janvier 2009, est on ne peut plus claire : elle prévoit même des sanctions contre tous ceux qui se permettent de « cracher »sur les droits de l’enfant.

Selon l’article 30 de cette loi, « L’enfant a droit au respect de sa vie privée, sans préjudice des droits et responsabilités de ses parents ou des personnes exerçant sur lui l’autorité parentale. Il ne peut faire l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation ». L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une préoccupation primordiale dans toutes les décisions et mesures prises à son égard. Par intérêt supérieur de l’enfant, il faut entendre le souci de sauvegarder et de privilégier à tout prix ses droits (Article 6 de la Loi portant protection de l’enfant). Si tel est vraiment le cas, la presse et la Police Nationale Congolaise doivent s’abstenir d’«exposer » les enfants dans tout ce qu’elles font et apprendre, par le fait même, à observer et à intérioriser le principe de présomption d’innocence.

Les instances et les partenaires interpellés par la présente réflexion le savent pertinemment bien : « L’Etat veille à l’application effective des textes légaux garantissant la diffusion de l’information qui ne porte pas atteinte à l’intégrité morale ou au développement intégral de l’enfant. Il encourage les médias à diffuser une information saine et des programmes qui présentent une utilité sociale, culturelle et morale pour l’enfant ». Article 28 de la Loi portant protection de l’enfant.

Déférer les professionnels des médias et les agents de Police Nationale devant la justice

Les articles 41 et 42 de la Constitution de la République démocratique du Congo reconnaissent : • aux parents, le devoir de prendre soin de leurs enfants et d’assurer leur protection contre tout acte de violence, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du foyer

• aux pouvoirs publics, l’obligation de protéger les enfants et la jeunesse et de déférer, devant la justice, les auteurs et les complices de violence à l’égard des enfants.

Il est temps que les Congolais connaissent mieux leurs droits et les défendent. Il est plus que temps pour que les défenseurs des droits de l’homme mettent réellement leur expertise au service des communautés de base, en accordant, entre autres, une assistance juridique et/ou judiciaire à tous ceux qui se sentent lésés par l’ «opportunisme », mieux le zèle amer de certains médias et agents de la Police Nationale Congolaise.

Seuls des procès contre telle chaîne de télévision, tel commissaire ou agent de Police pourraient avoir un effet dissuasif et faire qu’on voit de moins en moins les images des présumés voleurs, sorciers ou « Kuluna » à la télévision, avant même que leur culpabilité ne soit établie, à l’issue d’un jugement dûment rendu par une juridiction compétente.

Clovis KADDA

Enseignant en Droits de l’Homme

Expert en Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR)

Membre du Réseau pour la Réforme du Secteur de Sécurité et de Justice

(RRSSJ) KINSHASA – République démocratique du Congo

Tél. : 099 99 310 30-081 685 49 67 E-mail: pidenequateur@ yahoo.fr

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