Le Kivu sombre à nouveau dans la violence

[Le Temps] Un mauvais scénario est en train de se rejouer sur les hauts plateaux verdoyants du Nord et du Sud-Kivu, deux provinces jumelles de l’extrême est de la République démocratique du Congo (RDC). Il y a deux mois, ce foyer de tensions récidivantes au cœur des Grands Lacs s’est remis à bouillonner, réveillant seigneurs de guerre et prédateurs, ravivant les rancœurs ethniques et chassant sur les routes de l’exil ou dans la brousse 100 000 civils apeurés, dont une majorité dans le Nord-Kivu, d’après les Nations unies.

Bosco Ntaganda est le principal protagoniste de ce nouvel accès de fièvre. A pas tout à fait 40 ans, l’homme a déjà un passé luxuriant de forfaits sanguinaires. Surnommé «Terminator», il est entré début avril en rébellion contre l’armée congolaise, dont il avait été nommé général, en charge des opérations dans les Kivus, à l’issue de l’accord du 23 mars 2009. Ce dernier scellait à Goma la paix entre Kinshasa et le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), une milice qui terrassait la région depuis 2004 et dont Bosco Ntaganda avait pris la tête après l’arrestation de son chef, Laurent Nkunda, lors de sa fuite au Rwanda en janvier 2009.

A l’époque, vu de Kinshasa, l’intégration dans les hautes sphères de l’armée congolaise de «Terminator» et le «brassage» des troupes du CNDP semblait une bonne affaire, garante d’accalmie dans les Kivus. Cette décision stratégique avait pourtant suscité des remous, dans les cercles internationaux et dans le monde des ONG: depuis 2006, Bosco Ntaganda est visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), accusé d’enrôlement d’enfants soldats, du temps où il sévissait dans une autre milice en Ituri (nord-est) au début des années 2000.

Transféré à La Haye dès 2006, son coaccusé dans ce dossier, Thomas Lubanga, a été reconnu coupable par la CPI en mars dernier. La pression internationale devient alors intenable pour le président congolais Joseph Kabila. Déjà, sa réélection dans des circonstances plus que houleuses, en novembre 2011, a fait mauvais effet. Un faux pas de plus, et c’est l’accueil par Kinshasa du Sommet de la francophonie, en octobre prochain, qui risque d’être compromis. «Il lui a fallu donner un gage à la communauté internationale. Le seul valable, c’était de proposer d’arrêter Bosco Ntaganda et de le livrer à la CPI», décrypte Bob Kabamba, professeur à l’Université de Liège.

La décision de le neutraliser a-t-elle fuité depuis la capitale, ou le général, qui a développé en deux ans un petit empire militaro-affairiste dans la région, a-t-il compris de lui-même que le vent tournait? En avril, il se mutine. D’autres gradés, ex-CNDP, font à leur tour défection. Certains ne tarderont pas à être arrêtés; d’autres, menés par le colonel Makenga, bras droit de «Terminator», se réclament d’un nouveau mouvement, le M23, en référence à l’accord de paix de 2009, dont ils dénoncent une insuffisante mise en application. Ils s’affirment sans lien avec Bosco Ntaganda. Mais pour les connaisseurs, la rébellion ne serait qu’une et une seule, orchestrée par «Terminator». Le 11 avril, le président Kabila décide d’affecter toutes les troupes congolaises postées dans la région, renforcées par deux bataillons, à la traque du renégat replié avec 300 à 600 hommes à l’extrême est des Kivu, tout contre le Rwanda.

En dégarnissant certaines portions de territoire, les mouvements de troupes ont réactivé les milices qui infestent les Kivus. Parmi elles, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), ennemis jurés des ex-CNDP et composées de Hutus supposément acteurs du génocide rwandais de 1994, ont recommencé à semer la terreur, massacrant notamment, mi-mai, une quarantaine de villageois à Kamananga (Sud-Kivu).

«C’est une répétition de la crise de 2008, dit Thierry Vircoulon, directeur de projet Afrique centrale de l’International Crisis Group (ICG). Les principaux problèmes des Kivus sont toujours sur la table, irrésolus: neutralisation des groupes armés, impunité et réforme de l’armée. Le fond de l’affaire, c’est que la stratégie de stabilisation à l’est de la RDC est un échec.»

Au gré des rumeurs quotidiennes, Bosco Ntaganda est tour à tour donné pour blessé, mort ou vivant. Mais ces derniers temps, une suspicion s’est ancrée avec insistance, documentée par un rapport interne de la Monuc (la Mission de l’ONU en RDC) dévoilé par la BBC, et des investigations menées par Human Rights Watch (HRW). Les deux prêtent très précisément au Rwanda un rôle de soutien au général renégat. «Les responsables militaires rwandais ont armé et soutenu la mutinerie dans l’est de la RDC menée par le général Bosco Ntaganda», accuse ainsi HRW. D’après l’ONG, outre des kalachnikovs, des grenades et des mitrailleuses, au moins 200 à 300 recrues, dont des mineurs, auraient été fournies à Bosco Ntaganda. Cité par la BBC, le rapport onusien évoque lui des recrutements dès le mois de février, soulevant l’hypothèse d’une mutinerie fomentée avant le mois d’avril. «Ce sont des rumeurs totalement fausses et dangereuses», a balayé fin mai le Rwanda. «Aucune mouche ne peut voler dans la région sans feu vert de Kigali», note Bob Kabamba, sans aller jusqu’à accréditer l’idée d’un soutien direct.

A couteaux tirés depuis des années, le Rwanda et la RDC avaient subitement étouffé leurs divergences pour conclure un accord secret, en décembre 2008, qui avait abouti à la neutralisation de Laurent Nkunda, chef du CNDP alors soutenu par Kigali, et à une tentative conjointe de démilitarisation des FDLR. L’entente de façade entre les deux voisins apparaît aujourd’hui lézardée.

Le Temps

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