[L’Observateur]
Mon nom est Neema (nom fictif). J’ai 17 ans et je suis du village Kishishe, dans le territoire de Rutshuru au Nord-Kivu, une des provinces à l’est de la République démocratique du Congo, souvent instable du point de vue sécuritaire.
Une instabilité et une insécurité causées par les rebelles des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), milice composée des Hutus rwandais, auteurs présumés du génocide rwandais dans les années 90, de même que par des groupes armés locaux, des têtes brûlées qui étaient des électrons libres jusque-là.
Le FDLR fait souvent des incursions dans nos villages et ses miliciens prennent tout ce qui leur plaît. En juillet 2011, ils ont envahi mon village comme à l’accoutumée, ils interdissent aux gens de fermer les portes des maisons. Ils entrent, prennent ce qu’ils veulent, à commencer par les animaux comme les chèvres et les poules, les commodités comme le savon, la farine et tous les aliments qui leur tombent sous la main. Le jour où ils sont entrés dans mon village, ils ont commencé à confisquer les biens comme d’habitude. Dans ma maison, ils ont pris du sel et de la farine de froment et puis, l’un d’eux m’a regardée. Il m’a souri et m’a dit que j’étais jolie et que je lui plaisais.
Il a ensuite demandé à mon père s’il pouvait me donner en mariage parce qu’il voulait m’emmener avec lui. Mon père l’a supplié de me laisser tranquille car je n’avais à l’époque que 16 ans. Mais lui a dit qu’il n’avait pas à négocier et qu’ils avaient le droit de réquisition sur tous nos villages.
Ils étaient une dizaine et m’ont emmenée dans la forêt. Pour arriver jusqu’à leur cachette, nous sommes passés par des sentiers abrupts et isolés, difficilement repérables. Après avoir marché sans fin dans la forêt dans laquelle ils avaient aménagé de petites espaces et construit des huttes avec des feuilles mortes, celui qui m’a pris pour sa possession et qui est le chef, a dû me défendre contre ses hommes qui voulaient me violer. Il a dit que j’étais à lui seul et qu’il me considérait comme sa propre femme.
» j’étais devenue une esclave sexuelle «
Il m’a alors violée et me violait toutes les heures quand il en avait envie. J’étais devenue son esclave sexuelle. Il me prenait sans me demander mon avis et faisait ce qu’il voulait. Je n’avais pas le droit de lui résister. Il disait qu’il était mon protecteur et que si je lui refusais ce qu’il voulait, il me livrerait à ses compagnons.
Au bout de quatre jours en compagnie des rebelles dans la forêt, ils m’ont ramené près de mon village et le chef m’a dit de rentrer chez moi et de dire à mon père qu’il reviendrait pour m’épouser. Parce que selon lui, j’étais la femme de sa vie et qu’il ne voulait pas continuer à vivre avec moi sans que ma famille lui ait versé une dot.
Lorsque je suis arrivée au village, mon père était malade. Il était couché sur une natte, grelottant de fièvre. Il a sursauté et est venu m’embrasser en pleurs. On pouvait percevoir qu’il avait beaucoup de questions mais ne savait par où commencer. Il m’a simplement dit qu’il était désolé et qu’il ne permettrait plus jamais qu’on m’enlève ainsi.
Comme parler de viol est tabou dans ma tribu, je ne pouvais pas dire à mon père que j’avais été violée mais il l’a deviné et m’a envoyée à l’hôpital à Rutshuru-centre, tout en me demandant de ne rentrer au village sous aucun prétexte et que même de loin, il prendrait soin de moi. Le lendemain de cette conversation, je suis partie à l’hôpital en compagnie de ma mère et j’y ai été admise pour traumatisme.
Quelques jours après, j’ai appris que les rebelles avaient encore fait des incursions dans mon village et qu’ils avaient pris mon père en otage car ils ne m’avaient pas trouvée et l’ont accusé de m’avoir fait fuir. Donc, ils estimaient qu’il devait le payer et cher. La nouvelle m’a fait très mal. Je me demandais quel sort ils lui avaient réservé dans la forêt, surtout connaissant la vie qu’ils mènent.
Je suis rentrée au village et j’ai demandé à la famille de permettre que j’aille reprendre ma place pour que les rebelles relâchent mon père. Tout le monde a refusé car pour eux, papa n’existait même plus à voir la colère avec laquelle les rebelles l’avaient emmené. Et pour eux, me laisser partir était une folie car c’était me livrer à des fauves.
Il m’a fallu plus d’une semaine d’attente pour que les rebelles reviennent s’approvisionner dans mon village. Je suis allée les voir et leur ai demandé de m’emmener avec eux pour que j’aille remplacer mon père car j’étais convaincue qu’ils n’avaient pas tué mon père et qu’ils allaient le laisser s’en aller si je rentrais avec eux.
Pour les gens de mon village, c’était une folie mais devant eux, personne ne pouvait intervenir et je les ai accompagnés.
Quand nous sommes finalement arrivés dans leur campement, celui qui se disait être mon mari m’a accueilli gentiment, prétextant que je lui avais manqué et qu’il était chagrin de mon absence et que c’était pour cela qu’il avait pris une autre femme. Mais, il disait que c’était moi l’amour de sa vie.
Il a chassé la femme que j’ai trouvée sur sa couche et m’a violée toute la nuit. Quand je lui demandais où était mon père, il ne me répondait pas et voulait que je jouisse puisque l’essentiel était que nous étions à nouveau réunis. J’ai pleuré quand j’ai réalisé que mon père n’était pas en vie et que je m’étais rendue pour rien.
Le lendemain matin, je lui ai reposé la question à propos de mon père et là, il m’a battue furieusement et m’a enfermée toute la journée sans me donner à manger. Dans la soirée, il m’a dit que mon père était encore en vie et qu’il le
Maintiendrait ainsi à la seule condition que je me comporte bien avec lui. Cette fois-là, il a appelé trois de ses amis et ils m’ont violée. Il a dit que c’était ma punition pour avoir refusé de me soumettre à lui.
Mon calvaire a duré toute la nuit. Le troisième jour, j’ai été autorisée à voir mon père. Il était amaigri et faible. Ils me l’ont présenté une minute juste pour me saluer. J’ai fondu en larmes. Je souffrais dans ma tête et dans mon corps tant j’avais été malmenée moralement et physiquement. Je vivais un supplice car ils ne me laissaient pas sortir, ni ne m’autorisait à me laver. Ils continuaient à me violer à trois.
Plusieurs jours plus tard, ils m’ont fait revoir mon père. Celui-ci m’a dit qu’ils avaient accepté de le renvoyer dans notre village et comme il ne connaissait pas le chemin, ils se sont proposé de le raccompagner. J’ai frémi car cela signifiait des pillages de mon village et de ceux environnants.
» Il m’a abandonnée quand il a appris que je portais sa grossesse «
Mon père parti, ils m’ont gardé deux mois ainsi. J’ai commencé à être malade. Ils refusaient que j’aille me faire soigner à l’hôpital le plus proche. Ma santé s’est détériorée de plus en plus. Je n’arrivais plus à manger. Je ne faisais plus rien. Ils ont alors permis que je quitte la forêt pour regagner mon village quand ils ont compris que j’étais enceinte. Ils m’ont fait promettre de ne pas me faire avorter car ils allaient venir dans mon village pour prendre leur enfant, disaient-ils.
Ils m’ont raccompagnée jusqu’à l’entrée de mon village et ont, comme d’habitude, tout pillé, à l’exception de ma case où j’allais mettre au monde leur enfant. Ma mère n’était plus au village. Elle est partie sans rien dire car elle ne supportait pas l’idée qu’on l’accuse de m’avoir laissée partir avec les rebelles.
A l’hôpital où je me suis rendue, j’ai fait une perte. Par peur de représailles, mon père et moi avons quitté notre village pour Goma où nous vivons difficilement étant donné que mon père n’a pas de travail. Aux dernières nouvelles, les rebelles sont revenus au village et comme ils ne nous ont pas trouvés, ils ont tout détruit sur leur passage. Depuis, ils ne reviennent plus au village. Ma vie est on ne peut plus détruite… » Cet article fait partie du service de commentaires et d’opinions de Gender Links.
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