(Le Potentiel)
Après deux ans de mandat à la tête de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (Cirgl), l’Ouganda cède aujourd’hui mercredi à Luanda les commandes de cette organisation sous-régionale à l’Angola. Un changement qui augure assurément de nouvelles perspectives de paix dans la région, particulièrement pour la RDC qui a lourdement souffert de la politique d’autruche de ses voisins de l’Est, particulièrement le Rwanda et l’Ouganda. La neutralité de Luanda dans les conflits récurrents qui rongent l’Est de la RDC devait certainement jouer sur la balance. Elle permettra sans doute de vider tous les litiges pour avancer d’un bon pied dans la sécurisation de la région.
A n’en point douter, la présidence ougandaise à la Cirgl n’a pas véritablement été à la faveur de la République démocratique du Congo. Partie prenante aux conflits dans l’Est où il s’est visiblement rangé derrière l’ex-rébellion du M23 – comme l’ont attesté divers rapports des Nations unies – l’Ouganda n’a pas été sincère et honnête dans l’administration de cette organisation sous-régionale.
Et pourtant en 1994 lors de sa création à la suite des conflits politiques ayant marqué la région des Grands Lacs, la Cirgl s’est fixée pour vocation de combiner les efforts de ses États membres en vue de la promotion de la paix et du développement.
UNE ORGANISATION SANS AME
20 ans après, la Cirgl peine à imposer sa marque, minée par des clivages qui limitent l’efficacité de son action. Lorsqu’il s’est agi d’aborder les problèmes sécuritaires de la région, la Cirgl a souvent fait recours à la politique de deux poids deux mesures. C’est le cas du schéma de négociations avec le M23 qu’elle a imposé à la RDC, alors qu’elle a exclu une telle éventualité aussi bien pour le Rwanda que pour l’Ouganda. Pire, chaque fois qu’il s’est agi de résoudre la crise en RDC, la Cirgl s’est montrée aussi inefficace qu’inactive, camouflant ses faiblesses derrière des considérations diplomatiques.
Les exemples sont légion. Lorsque le Rwanda a accordé un asile doré à des rebelles congolais dont Laurent Nkunda, la Cirgl s’est tue. Celle-ci est restée également aphone lorsque l’Ouganda a accueilli à bras ouverts sur son sol les fugitifs du M23. Il en est de même du flux et reflux des militaires rwandais et ougandais sur le territoire congolais depuis plus d’une décennie. Autant de faits qui ont prouvé l’inefficacité de la Cirgl dans l’accomplissement de ses missions.
A noter que Kampala s’est arrangé pour rempiler de manière à gérer le dossier M23. Le Rwanda et l’Ouganda ont mis à profit ce cumul pour manipuler à souhait la Cirgl.
Résultat, Kinshasa a été obligé de signer un accord avec ce groupe rebelle classé force négative et lui trouver une voie de sortie honorable, notamment la conversion des crimes de guerres en fait de guerre pour certains membres du M23. Conséquence, le groupe est en train de reconstituer, à en croire les déclarations faites dernièrement par la Monusco.
Qu’est-ce à dire ? Malgré l’intervention de la communauté internationale, les États-Unis en tête, les deux complices ont adopté des résolutions allant dans le sens de leurs intérêts respectifs. A ce jour, bien des contentieux subsistent au sein de la Cirgl.
Le changement de décor à la présidence de la Cirgl arrive donc à point nommé. Il est porteur de nouveaux espoirs autant pour la région que pour la RDC qui a longtemps été victime du manque de sincérité de certains membres de l’organisation.
Réputé neutre dans divers conflits qui minent la région, Luanda part avec les faveurs des pronostics. A Kinshasa, on sait que la présidence angolaise augure de perspectives heureuses.
C’est dans ce sens que l’ambassadeur de la RDC en Angola, Mayele Ebokwol Ghyor Bernardin, a déclaré samedi à Luanda que son pays considérait que la présidence angolaise à la Cirgl serait « une plus value » pour la région. Le diplomate congolais a fait remarquer que la RDC attend voir l’Angola accélérer la résolution de diverses questions laissées en suspens par l’Ouganda.
LA NOUVELLE DYNAMIQUE
La présence de l’Angola aux commandes de la Cirgl est une nouvelle donne dans les rapports souvent tendus entre les membres de cette organisation. On sait que la présidence en exercice de Museveni a été jugée nuisible, en plus qu’elle avait souvent terni l’image de la Cirgl, la faisant dévier de sa mission principale, à savoir celle de travailler pour la promotion de la paix dans la région.
Rien que pour le cas de la RDC, le Rwanda et l’Ouganda ont nettement été pointés du doigt comme principaux tireurs des ficelles de tout le désordre qui déstabilise l’Est de la RDC. Le dernier rapport des experts des Nations unies sur la RDC est largement revenu sur la question, confortant les affirmations des rapports antérieurs.
Plusieurs rapports menés par des Ongs internationales telles que Human Rights Watch, Amnesty International ou encore International Crisis Group ont abondé dans le même sens, mettant unanimement en avant plan la forte influence de l’Ouganda et du Rwanda dans toutes les rébellions et groupes armés qui défilent dans l’Est de la RDC.
Paradoxalement à toutes ces révélations, la RDC s’est retrouvée bon gré mal gré dans l’obligation de cohabiter avec ses bourreaux dans la Cirgl. Pire, certaines résolutions prises au sein de cette même organisation n’ont eu pour seule finalité que de fragiliser davantage la RDC en mettant à nu son plan sécuritaire et de défense. C’est le cas du mécanisme conjoint de vérification des frontières et du Centre commun des renseignements des pays membres de la Cirgl.
Pour le cas spécifique de ce Centre dont le siège a été fixé à Goma, la Cirgl l’a spécialement mis en place juste pour centraliser toutes les informations nécessaires en vue de la traque des FDLR et des rebelles de la LRA. Voilà un Centre basé en RDC mais, en réalité, mis au service de l’Ouganda et du Rwanda. Aucun dividende donc pour la RDC.
Voilà comment a fonctionné la CIRGL durant toute la présidence de l’Ouganda. Aujourd’hui qu’une page se tourne, c’est le moment pour la Cirgl de redorer le blason terni. Elle a été minée par des contradictions qui ont servi à asseoir l’hégémonie de Kampala et Kigali dans l’Est de la RDC.
Si l’arrivée de l’Angola est saluée par tous les observateurs, elle présage d’une nouvelle dynamique au sein de la région. Première puissance économique militaire de la région, l’Angola a les atouts nécessaires pour ramener l’équilibre dans la Cirgl et l’affranchir du Rwanda et de l’Ouganda.
Luanda va, on l’espère, vider tous les contentieux en abordant le vrai problème de la région qui ne se résume qu’à la forte propension pour le Rwanda et l’Ouganda à contrôler la partie Est de la RDC. Luanda a donc devant lui un challenge : l’obligation de tout mettre en œuvre pour relever le défi.