(RRSSJ)
ACAJ : « Nous défendons les Droits de l’Homme par la justice nationale et internationale »
– A l’Honorable Président du Sénat
– Aux Honorables Sénateurs Membres du Bureau du Sénat
– Aux Honorables Sénateurs membres de la Commission Politique, Administrative et Juridique
– A Tous les Honorables Sénateurs,
à KINSHASA
L’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ) saisi l’occasion qu’offre l’examen du projet de loi portant amnistie pour des faits de guerre, infractions politiques et d’opinion pour plaider en faveur de la libération des détenus et condamnés politiques ou d’opinion par la suppression des termes et expressions équivoques, contradictoires et discriminatoires qu’il contient autour de points ci-dessous :
- I. Rappel notions essentielles
Est à considérer comme détenu ou prisonnier politique, tout individu emprisonné pour des motifs politiques(1). Est à considérer comme détenu ou prisonnier d’opinion, toute personne détenue ou restreinte dans sa liberté du fait de ses convictions politiques ou religieuses ou pour toute autre raison de conscience, de son origine ethnique, de son sexe ou de son orientation sexuelle, de sa couleur, de sa langue, de son origine sociale ou de sa nationalité, de sa situation économique, de sa naissance ou de toute autre situation – et qui n’a pas usé de violence ni incité à la violence ou à la haine(2).
- II. Liste des détenus ou condamnés politiques ou d’opinion
L’ACAJ possède une longue de personnes détenues ou condamnées pour des faits politiques ou leurs opinons. Elle fait sienne la liste provisoire établie par les délégués aux Concertations Nationales qui reprend les noms suivants : MM. Eugène DIOMI NDONGALA, KUTINO Fernando, Firmin YANGAMBI, Eric KIKUNDA, Patrick PALATA, NZANGI MUHINDO ; et M. Jacques CHALUPA ayant été libéré conformément à l’ordonnance n° 13/108 du 23/10/2013 portant mesure collective de grâce.
- III. Loi d’amnistie doit constituer une opportunité pour rebâtir la cohésion nationale et la paix sociale
L’amnistie de tous les détenus et condamnés politiques ou d’opinion devra permettre de rebâtir la cohésion nationale et la paix sociale; de sceller la réconciliation nationale; de rétablir la démocratie et l’unité nationale perdue ou gravement entamées. Elle devra traduire, symboliquement, la façon de réaffirmer que la nation a tout oublié, qu’est unique et indivisible dans la République et que cette dernière ne peut se bâtir sans la participation de chacun de ses citoyens emprisonnés.
Car, le pouvoir peut avoir, à un moment donné intentionnellement ou par inadvertance, fait recours à la justice pour faire condamner ses opposants ou avoir utilisé la justice pour faire exemple à travers la mise en scène des audiences et la publicité donnée à la sanction(3).
Le projet de loi soumis à votre examen contient des dispositions équivoques, contradictoires et discriminatoires, qui ne cadrent pas avec la volonté des Délégués aux Concertations Nationales. Nous rappelons que le Président de la République, Chef de l’Etat, a pris l’engagement en date du 23 octobre 2013, devant les deux chambres réunies en congrès, d’exécuter et faire exécuter toutes les recommandations des Concertations Nationales dont celle relative à l’amnistie des personnes emprisonnées ou poursuivies pour des faits de guerre, des infractions politiques et d’opinion.
A titre d’exemple :
(i) Alors que l’exposé des motifs(4) du projet de loi énonce que l’amnistie couvre les infractions commises en RDC par les congolais et les étrangers vivant sur le territoire national au moment de la commission des faits, l’article premier, par contre, dispose qu’elle n’est accordée qu’aux congolais résidants au pays ou à l’étranger, inculpés ou condamnés par une décision de justice… Donc les étrangers sont exclus !
(ii) Le projet de loi exclu de l’amnistie des infractions de trahison, d’atteinte à la sureté intérieure et extérieure de l’Etat qui sont pourtant infractions politiques par nature(5). Une infraction politique regroupe toute infraction accusée par l’Etat de porter atteinte à l’ordre public et social, aux institutions politiques et à la sûreté de l’Etat (trahison, espionnage ou intelligence avec l’ennemi, insurrection , etc.). En France, celles-ci sont regroupées au livre IV du Code Pénal , intitulé « Infractions contre la Nation, l’État et la paix publique »(6).
(iii) L’octroi de l’amnistie pour faits de guerre est subordonnée principalement à l’absence « d’intention non criminelle», ce qui renvoi clairement dans un Etat de Droit à l’intervention préalable d’un juge ! Donc, ce dernier devra d’abord examiner si les opérations militaires menées ou les infractions politiques ou d’opinions menées n’étaient pas de nature à porter atteinte aux institutions établies. Cette condition dilue la pertinence et l’objet de l’amnistie. Car, à titre d’exemple, une rébellion, par essence, s’attaque contre l’organisation institutionnelle en place.
(iv) Le projet de loi pèche gravement par le fait qu’il exclut de l’amnistie des faits de droit commun qui n’ont rien à avoir avec le crime de guerre, crime contre l’humanité et crime de génocide, qui les sont naturellement par la volonté du droit international. Alors que l’amnistie est une loi de l’oubli. Il est nécessaire de supprimer les autres faits de droit commun qui ne sont susceptibles de rentrer dans l’une de catégorie des crimes internationaux.
Conclusion
Honorables Sénateurs, au vu des préoccupations soulevées ci-dessus, l’ACAJ vous recommande de bien vouloir améliorer loi d’amnistie de manière à garantir la libération de tous les détenus ou condamnés des infractions politiques ou d’opinion notamment MM. Eugène DIOMI NDONGALA, KUTINO Fernando, Firmin YANGAMBI, Eric KIKUNDA, NZANGI MUHINDO, Patrick PALATA, et ce, en application des recommandations issues des Concertations nationales.
L’amnistie qui ne s’inscrira pas dans le cadre de ces recommandations ne contribuera pas à la description du climat politique, et à la réalisation de la cohésion et la réconciliation nationales. Dans un pays longtemps déchiré par la crise politique, la guerre et les attaques récurrentes contre les populations civiles dans les provinces du Nord-Kivu, Sud-Kivu, Nord-Centre et Sud-Est Katanga, tel que la RDC, l’amnistie de tous les détenus ou condamnés politiques ou d’opinion permettra d’apaiser les passions et les esprits et de faire oublier le mal que chacun a fait à l’autre pour une vie d’ensemble.
ACAJ vous remercie vivement, Honorables Président et Honorables Sénateurs pour l’attention que vous avez réservée à ce plaidoyer ainsi que des corrections conséquentes que vous daignerez apporter au projet de loi d’amnistie.
Fait à Kinshasa, le 07 janvier 2014
Pour l’ACAJ,
Me Georges KAPIAMBA
Président National
[1] La Conférence internationale pour l’unification du droit pénal, qui avait siégé à Copenhague du 31 aout au 3 septembre 1935, a défini l’infraction politique :
-des infractions dirigées contre l’organisation ou le fonctionnement de l’Etat, ainsi que celles dirigées contre les droits qui en dérivent pour le citoyen ;
-des infractions de droit commun qui constituent la mise en œuvre des atteintes prévues par les actes commis pour favoriser l’exécution d’une infraction politique, ou pour permettre à l’auteur l’exécution d’une infraction d’une infraction politique, ou permettre à l’auteur de cette infraction d’échapper à l’application de la loi pénale ; voir in Rév. Dr. Pén. Crim. 1935, p. 1052.
Une infraction politique se distingue d’une infraction de droit commun soit par son objet, soit par son mobile. Dans le premier cas, dit « objectif », elle regroupe toute infraction accusée par l’État de porter atteinte à l’ordre public et social, aux institutions politiques et à la sûreté de l’État (trahison, espionnage ou intelligence avec l’ennemi, insurrection, etc.). En France, celles-ci sont regroupées au livre IV du Code pénal, intitulé « Infractions contre la Nation, l’État et la paix publique ». Dans le second cas, elle peut ne différer d’une infraction de droit commun que par son mobile: ainsi, ce que certains anarchistes qualifiaient d’« expropriation » pouvait être considéré soit comme une infraction politique visant à contester la légitimité de la propriété privée, soit, au contraire, comme un vol ordinaire.
[2] La notion de prisonnier d’opinion a été créée en 1961 par Peter Benenson, avocat anglais et fondateur d’Amnesty International, et développée par Amnesty International, une ONG de défense des droits de l’homme.
[3] C’a été la force des procès staliniens au cours desquels il y avait cette mise en spectacle pour alimenter la terreur et le « crime » des condamnés était le fait de s’être opposé au pouvoir.
[4] Paragraphe 3 du projet de loi.
[5] La Conférence internationale pour l’unification du droit pénal qui avait siégé à Copenhague du 31 aout au 3 septembre 1935 a donné la définition suivante de l’infraction politique :
-des infractions dirigées contre l’organisation ou le fonctionnement de l’Etat, ainsi que celles dirigées contre les droits qui en dérivent pour le citoyen ;
-des infractions de droit commun qui constituent la mise en œuvre des atteintes prévues par les actes commis pour favoriser l’exécution d’une infraction politique, ou pour permettre à l’auteur l’exécution d’une infraction d’une infraction politique, ou permettre à l’auteur de cette infraction d’échapper à l’application de la loi pénale ; voir in Rév. Dr. Pén. Crim. 1935, p. 1052.
[6] Fr.wikipedia.org