Sud-Kivu : après le massacre, c’est la désolation à Mutarule

(Le Potentiel)

Cinq jours après le massacre de Mutarule, où près de 37 personnes ont trouvé la mort, l’Association des Femmes des Médias du Sud-Kivu (AFEM/SK) se rend sur les lieux.

Nous sommes le mardi 10 juin 2014. Il est 10 heures du matin, la femme journaliste déléguée par AFEM/SK se rend à la gare pour prendre le bus. Destination Mutarule, sur la route qui mène vers Uvira.

A 13h, le bus s’arrête à Mutarule, les passagers demandent au chauffeur de ne pas trop tarder et d’accélérer pour raisons de sécurité. La journaliste descend. Devant elle, des dizaines de militaires bien armés. De gauche à droite, des maisons abandonnées et d’autres brulées.

On pouvait également voir des souliers, des assiettes, des casseroles, des habits éparpillés dans les rues. Le village est sinistré, déserté et d’une accalmie inquiétante.  Même pas un cri d’oiseau. Les habitants se sont réfugiés à Sange, à 12 kilomètres de Mutarule et vers d’autres destinations, notamment à Uvira et à Bukavu.

Visite sur les lieux du massacre

La localité de Mutarule, où s’est passé ce massacre la nuit du 6 au 7 juin 2014, est située dans la plaine de la Ruzizi en territoire d’Uvira. Elle est majoritairement habitée par des populations de la tribu Fuliru qui vivent surtout de l’agriculture et de l’élevage.

La journaliste traverse de l’autre côté de la route. Un militaire s’adresse à elle :

–   « Hé! qu’est-ce que vous cherchez? Est-ce qu’on peut vous aider ? ».
–  Oui, je cherche les endroits où les massacres ont eu lieu. Je suis journaliste ».

L’homme en uniforme se lève et conduit la journaliste dans les quartiers de Nyamugali et de Katekama où les massacres ont été commis. Le premier endroit visité est le centre de santé composé de deux pièces. Le militaire sort de sa poche une clé et ouvre la porte.

Et là, la journaliste voit des lits, des papiers, des médicaments et d’autres outils du centre de santé éparpillés çà et là. Par terre à sa gauche, elle observe également des traces de sang. « Une femme a été sauvagement abattue là-bas »,  dit le militaire.

Sur le lit et dans les deux pièces qui composent le centre de santé, la journaliste voit aussi des douilles ainsi que les cathéters laissés par les malades tués.

Le deuxième endroit visité est l’église, actuellement méconnaissable. Les seules choses qui peuvent prouver que les gens y étaient rassemblés sont des souliers en plastique éparpillés, quelques pagnes abandonnés par les croyants, et aussi les tambours. Et enfin les maisons incendiées.

A côté du village déserté, se situe une autre zone qui est majoritairement habitée par les Barundi, à près de 100 mètres. C’est dans ce quartier que la journaliste se rend, accompagnée par le même militaire. On peut entendre de loin de la musique, et les enfants jouent par ci par là.

Plus on s’approche, plus les gens sortent de leur maison et nous observent. Le militaire s’adresse à un jeune homme :

– « Est-ce qu’on peut voir le chef de groupement ? ».
– « Oui, mais attendez, je vais vérifier s’il est là ».

On reste là débout. Les gens continuent de nous observer. Et 20 minutes plus tard, on nous dit qu’il nous attend. Et là, il nous donne ses explications :

« Je ne peux pas dire qu’il y a une raison qui a poussé à ce que les gens non autrement identifiés puissent tuer les habitants de Katekama et Nyamugali. Mais, la chose dont je suis sûr est que le groupe armé Maï-Maï a volé les vaches de Barundi. Or, le Barundi et le Bafuliru ont toujours été en conflit », dit le chef de groupement, Mirundi Claude.

Les violences freinent les activités

Le rapport Afrique n°206, publié le 23 juillet 2013 par International Crisis Group, a démontré que « le climat d’impunité et de méfiance, l’assassinat le 25 avril 2012 du chef de la collectivité de la plaine de la Ruzizi, située aux confins du Sud-Kivu et du Burundi, a relancé les violences entre les communautés Barundi et Bafuliro qui ont duré jusqu’à la fin de l’année 2012 ».

Il note que’« en 2013, en dépit des tentatives de réconciliation du gouvernement central et des Nations unies, les tensions demeurent ».

« Nos activités sont freinées. Les enfants ne vont plus à l’école, les femmes ne vont plus aux champs. Nous avons peur de circuler par peur d’être tués par les Bafuliru », nous explique une femme Murundi indignée.

Depuis l’époque coloniale, cette zone frontalière et en particulier Mutarule est un territoire problématique. Bafuliru et Barundi s’y affrontent pour chercher à conquérir le pouvoir et à contrôler des terres de la plaine de la Ruzizi.

Le même rapport précité poursuit qu’« en 2012, face à l’ampleur des tensions, la Mission des Nations unies pour la stabilisation au Congo  (Monusco) et les autorités locales, provinciales et nationales sont intervenues pour des séances de médiations ».

Mais, ces médiations n’ont abouti jusqu’à ce jour ni à instaurer un dialogue intercommunautaire ni à traiter les causes profondes du contentieux.

Témoignages

Une rescapée, Angelina Mukozo, rencontrée à Sange, décrit la scène macabre à sa manière :

« Il était 22 heures lorsque les coups de balles ont commencé à crépiter. Et quelques minutes après, les assaillants ont démoli l’église et ont commencé à tuer les gens qui s’y trouvaient pour une veillée de prière ».
« Avez-vous déjà vu un oncle tuer son cousin et son neveu?  Je veux vivre avec un Murundi mais pas avec un assassin. Je veux que, cette fois, justice soit faite. Ma sœur, son mari et leur fille de cinq ans, tous sont morts. Si l’Etat congolais n’agit pas, comment voulez-vous que nous vivions en paix? », s’interroge Angelina Mukozo.
La présence du commissariat de la police et du cantonnement militaire n’a pas empêché le massacre des habitants de Mutarule.

« C’est un sabotage effectué par les tueurs à l’égard de la population et de l’Etat congolais », s’écrie Matabishi Musavi, qui a perdu les membres de sa famille.

A quelques mètres du lieu où s’est passé le massacre, se trouvent un cantonnement militaire et un commissariat de la police. Cela n’a pas empêché les tueurs d’exécuter sauvagement des innocents.  D’aucuns pensent que les militaires présents auraient reçu l’ordre de leur hiérarchie de ne pas agir sur les tueurs, d’autres se plaignent de l’incapacité des FARDC d’intervenir et de sécuriser la population.

Mais qui peuvent être les tueurs ? « J’ai vu des personnes en tenue militaire, ils s’exprimaient en Kirundi et en Kinyerwanda. Ils ont encerclé le village. C’est Dieu qui m’a sauvé! Car ma voisine a été abattue à coups de machette », témoigne Angelina Mukozo à AFEM.

Les chances de réunification des communautés

La lutte contre l’impunité des auteurs de violations graves du droit humanitaire mais aussi le renforcement les cadres permanents de réflexion et de dialogue entre les populations,  l’organisation d’activités de rapprochement inter-communautaire ainsi que la mise à disposition de la population du code de bonne conduite pour la cohabitation pacifique des communautés, signé en 2013 par les communautés, figurent parmi les propositions évoquées par la population.

« Nous allons nous prendre en main et nous rendre justice si les autorités congolaises n’agissent pas », conclut un homme Bafuliru.

 

 

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A propos de l'auteur : Adeline Marthe

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