Les crimes du chef de guerre Bosco Ntaganda que La Haye ne jugera pas

(Mediacongo.net)

Norbert Mbu Mputu, militant congolais, estime que les dix-huit chefs d’accusation contre « Terminator » ne suffisent pas. Il a régné autant par la terreur que par la richesse accumulée grâce à la contrebande de minerai vers le Rwanda. Neuf ans après le premier mandat d’arrêt international à son encontre, le chef de guerre Bosco Ntaganda comparait aujourd’hui devant la Cour pénale internationale de La Haye.

Jugé pour crimes de guerre en République démocratique du Congo (Congo), il doit répondre de dix- huit chefs d’accusation, dont ceux d’assassinat, viol, pillage et enrôlement d’enfants soldats. Quoique scandaleux, cet acte d’accusation ne donne pas la pleine mesure de ses crimes présumés : ses transactions secrètes et illégales dans le commerce minier de la région restent peu abordées.

« Terminator » était aussi un homme d’affaires

Les activités violentes de Bosco Ntaganda ont attiré l’attention du monde longtemps avant qu’il ne se rende solennellement à l’ambassade des États-Unis au Rwanda, il y a deux ans. On comprend facilement pourquoi. Il est soupçonné d’avoir dirigé des persécutions pour motif ethnique, tuant ses victimes par balles, flèches ou bâtons cloutés. Et tandis que la population congolaise subissait ses exactions, on le voyait dans les médias, dînant dans de somptueux restaurants et hôtels de luxe. La presse l’a surnommé « Terminator » en raison des horreurs dont il est l’auteur. Bosco Ntaganda n’a pas encore indiqué s’il plaidait coupable ou non.

Mais loin de son image rapportée par les journaux, Bosco Ntaganda s’est enrichi grâce aux minerais du Congo. Il possédait des mines et taxait indûment les réseaux du commerce minier. L’ONG Global Witness a signalé comment il supervisait un énorme trafic de substances minérales vers le Rwanda via sa résidence privée, stratégiquement située à la frontière. En 2011, le Groupe d’ experts des Nations unies sur la RDC estimait que l’empire contrebandier de Bosco Ntaganda lui rapportait environ 15 000 dollars par semaine. Un an après, un négociant dans l’Est du Congo confiait aux chercheurs de Global Witness : « Bosco n’est jamais visible, mais il contrôle tous les réseaux. Impossible de faire passer quoi que ce soit [par la frontière] sans [son] concours. »

La contrebande continue

Le caractère fluctuant des alliances de guerre au Congo (où les ennemis peuvent rapidement devenir des alliés, et inversement) a permis à Bosco Ntaganda de devenir extrêmement riche et puissant. En troquant son statut de rebelle contre celui de général de l’armée congolaise à la faveur d’un accord de paix passé secrètement en 2009, Bosco Ntaganda a consolidé sa mainmise sur des zones minières lucratives, lui permettant de diriger efficacement son État dans l’État, alors même que la loi congolaise interdit l’implication de l’armée dans le commerce des substances minérales.

Les lignes de combat dans ce conflit de longue date sont complexes, et mêlent rivalités et revendications territoriales à une haine interethnique tenace et des ambitions politiques machiavéliques. Mais beaucoup de ces groupes, comme celui de Bosco Ntaganda, se financent en partie grâce à la vente, la contrebande ou la taxation des minéraux extraits dans l’Est du Congo, notamment l’étain, le tantale, le tungstène et l’or. Ces minerais sont ensuite commercialisés à l’international.

Aujourd’hui, Bosco Ntaganda est devant la justice, mais le contrôle armé des minéraux congolais n’a pas disparu ; des hommes armés maîtrisent encore mines et territoires dans l’Est du Congo. Dans ce décor en proie à des conflits prolongés entre groupes rebelles nationaux ou soutenus par l’étranger, et alimentés par l’indiscipline et la violence des membres de l’armée nationale, l’histoire de Bosco Ntaganda est emblématique de l’impunité dont les seigneurs de guerre et les membres de l’armée nationale jouissent alors qu’ils exploitent le commerce minier au détriment des communautés locales.

Le constat est clair : les hommes armés continuent d’agir impunément. 

Les recherches récentes de Global Witness montrent comment des officiers congolais vendent les minéraux et tirent profit des mines, le plus souvent en taxant les mineurs artisanaux les plus pauvres. Selon les creuseurs d’une mine d’or située à Kamituga, dans le Sud-Kivu, l’armée prélèverait jusqu’à 50 dollars par fosse et par semaine. Cette seule mine comptant plus de 60 fosses, elle rapporterait un total de 12 000 dollars par mois aux officiers. À Bukavu, dans le Sud-Kivu, nous avons vu un colonel tenter de vendre des minéraux à un négociant en or, en toute illégalité. Sans gouvernement prêt à sévir, les criminels continueront de manœuvrer le secteur à leur seul profit.

Cette affaire a pour effet bénéfique d’attirer l’attention internationale sur les chaînes d’approvisionnement minérales congolaises. Notamment grâce à une loi américaine, le principe des chaînes d’approvisionnement « responsables » est en train de devenir la norme auprès des sociétés qui s’approvisionnent en minerais issus de l’Est du Congo et d’autres zones de conflit ou à haut risque.

L’impunité des officiers

Mais alors qu’une partie du secteur privé opte progressivement pour un comportement plus responsable, le gouvernement congolais fait peu pour sanctionner les officiers de son armée impliqués illégalement dans le commerce minier. Malgré une annonce officielle l’an dernier lors d’un forum de l’Organisation de coopération et de développement économique, aucun militaire de haut rang n’a encore été traduit en justice pour implication illégale dans le secteur minier.

Bosco Ntaganda était un pivot central : son arrestation a contribué à démanteler les itinéraires institutionnalisés de contrebande à destination du Rwanda. Mais d’autres officiers corrompus continuent de gérer le trafic et la taxation illicites des substances minérales via de nouveaux réseaux plus diffus.

Si le gouvernement congolais désire sérieusement réformer un commerce minier qui contribue au financement de soldats et rebelles violents, il doit sanctionner les militaires qui l’exploitent en toute illégalité. Il doit s’assurer que le procès de Bosco Ntaganda marque le début d’une nouvelle vague de transparence, y compris dans le secteur des minéraux. Alors seulement, la population congolaise pourra espérer entrevoir la fin de son long calvaire. Norbert Mbu Mputu est militant congolais et président du SoPPro, initiative pour une éducation communautaire au Congo.

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A propos de l'auteur : Adeline Marthe