Repression à Lubumbashi, Intimidations à Kinshasa – 24 avril 2016 : des armes contre la population

(7SUR7.CD)

Les 26 ans de la démocratie ont été célébrés dans un climat tendu. A Kinshasa, les leaders de l’Opposition ont dû tenir leur meeting sur l’avenue de l’Enseignement, sous le regard vigilant des policiers qui ont investi dès l’aube le boulevard Triomphal. Policiers dont certains ont improvisé un match de football loisir. A Lubumbashi, la foule derrière Moïse Katumbi a affronté l’impressionnant dispositif policier qui a fait usage de gaz lacrymogènes très spécial et de tirs de sommation pour empêcher l’accès au stade Kibassa Maliba de la commune de Kenya.

On l’annonçait sous tension, la journée du 24 avril 2016, marquant les 26 ans de démocratie en République démocratique du Congo, n’a pas dérogé à la règle.La police est montée sur ses grands chevaux et a déployé de grands moyens de répression. Gaz lacrymogènes et tirs à balles réelles ont été au rendez-vous dans les deux grandes villes du pays, à savoir Kinshasa et Lubumbashi, où l’Opposition avait annoncé des manifestations populaires pour commémorer l’avènement de la démocratie. Du coup, la fête de la démocratie a été gâchée.

A Kinshasa, l’Opposition n’a pas eu accès facile au terrain du boulevard Triomphal. En débouchant sur cet espace ouvert, les manifestants ont constaté, à leurs dépens, que parti de 6 heures du matin un match de football loisir a été improvisé sur le lieu où ils avaient jeté leur dévolu plusieurs jours auparavant. Selon des témoignages recueillis sur place, au nombre des joueurs qui ont pris en otage le terrain jusqu’aux environs de 14 heures figuraient des éléments de la police. Sans céder à la provocation, les opposants se sont alors transportés de l’autre côté retranchés de l’avenue de l’Enseignement au siège des Fonus de Joseph Olenghankoy. Sous les regards vigilants des éléments de la police prêts à appuyer sur la gâchette. « Nous avons bravé l’interdiction du lieu de la tenue de ce meeting. Merci, les Kinois! », a twitté Eve Bazaïba, secrétaire général du MLC, l’un des partis associés à ce meeting.

A Lubumbashi, le dispositif policier a été non seulement impressionnant mais il a été corsé pour des raisons évidentes. Il fallait à tout prix empêcher tout accès à la commune de la Kenya, lieu prévu pour le meeting au cours duquel Moïse Katumbi, candidat du G7 à la présidentielle 2016, devait s’adresser à la foule.

Selon des sources locales, après avoir réussi à déjouer la barrière de la police, la population, dans sa détermination d’écouter ses leaders, a pris la direction du stade Kibassa Maliba, bravant les gaz lacrymogènes. Acculée, la police a dû recourir à tirs de sommation à balles réelles pour disperser les manifestants. Objectif : empêcher l’accès au stade. Il s’en est suivi le sauve-qui-peut. Moïse Katumbi, dont plusieurs proches ont été arrêtés, a eu la vie sauve grâce à la Monusco. Car, soutient une source sur place, après avoir repéré le véhicule dans lequel le gouverneur honoraire s’est réfugié, une jeep surplombée de lance-roquettes s’est mise à leur filer le train en tirant en l’air. Ce qui a dû attirer l’attention des éléments de la mission onusienne.

Par ailleurs, des témoins rapportent qu’au cours de cette répression d’un autre âge, les gaz lancés contre les manifestants ont été d’un genre nouveau, on dirait qu’ils ont été fabriqués spécialement pour le besoin de la cause. Le Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’Homme a été empêché d’assurer son mandat de monitoring à Lubumbashi.

Une « réaction disproportionnée », selon Moïse Katumbi

Repris par Sonia Rolley, correspondante de RFI en RDC, sur son compte twitter, Moïse Katumbi révèle n’avoir eu la vie sauve que grâce à l’intervention de la population. « J’ai eu la vie sauve grâce à la population », dit Moïse Katumbi après la dispersion du meeting à la Kenya. Il a, en même temps, « condamné fermement la réaction disproportionnée de la PNC qui a réprimé violemment une manifestation pacifique pour la démocratie ». Fort du nouveau mandat lui confié par le Conseil de sécurité des Nations unies, à Lubumbashi, la Monusco s’est interposée, évitant à ce que la manifestation ne se transforme en un carnage.

Qu’en est-il alors de la démocratie congolaise ? Il faut dire qu’en RDC, on est encore loin du but. Entre les paroles – c’est le cas de l’engagement pris par le chef de l’Etat à New York où il vient de séjourner – et les actes, il y a bel et bien un grand fossé. En organisant systématiquement la répression pour imposer par la force une pensée unique en RDC, le pouvoir est en train d’hypothéquer les chances de la tenue d’un improbable dialogue politique. Car, comment croire en sa bonne foi, lorsqu’au même moment il excelle en multipliant des actes d’atteinte aux droits et de liberté d’expression. C’est mal parti avec le dialogue. C’est une évidence.

Mais, il faut cependant reconnaître qu’entre répression à Lubumbashi et intimidations à Kinshasa, l’Opposition s’est montrée courageuse en bravant la menace. A Lubumbashi, la population était à côté de ses leaders pour faire entendre sa voix. Même scénario à Kinshasa où les leaders de l’Opposition n’ont pas cédé à la provocation de la police en s’exprimant haut et fort depuis le siège des Fonus sur l’avenue de l’Enseignement.

La démocratie congolaise a certes pris un coup, mais elle a fait un pas de plus dans la voie de son raffermissement. La veille de la journée du 24 avril 2016 (voir encadré), la Monusco a tiré la sonnette d’alarme « face à la montée des tensions politiques dans certaines parties de la RDC ».

La MONUSCO exprime sa vive préoccupation face à la montée des tensions politiques en RDC

Le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies et chef de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), Maman Sidikou, exprime sa vive préoccupation face à la montée des tensions politiques dans certaines parties de la RDC. Cette situation fait suite à l’annonce par certains groupes et partis politiques de leur intention d’organiser des manifestations politiques à Kinshasa, à Lubumbashi et aux mesures prises par les forces de sécurité pour empêcher la tenue de ces manifestations.

Le représentant spécial du secrétaire général souligne la nécessité pour l’ensemble des acteurs congolais de faire preuve de la plus grande retenue, en cette phase particulière de l’évolution politique de leur pays. Il exhorte les autorités congolaises à agir dans le respect scrupuleux de l’Etat de droit, et à s’abstenir de toute mesure de nature à entraver l’exercice par les acteurs politiques des droits et libertés garantis par la Constitution, y compris la liberté d’expression, d’association et de manifestation.

Le représentant spécial du secrétaire général réitère l’importance cruciale que revêt la préservation d’un espace politique adéquat pour favoriser le déroulement d’un dialogue politique véritablement inclusif de nature à permettre la tenue d’élections paisibles, transparentes et crédibles.

A cet égard, il rappelle la disponibilité de la MONUSCO à appuyer le facilitateur désigné par l’Union africaine, M. Edem Kodjo, et à œuvrer avec lui à l’aboutissement des efforts entrepris, ayant à l’esprit tant les dispositions pertinentes de la résolution 2277 que celles de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance.

Kinshasa, le 23 avril 2016

http://www.starducongo.com/Repression-a-Lubumbashi-Intimidations-a-Kinshasa-24-avril-2016-des-armes-contre-la-population_a14222.html

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A propos de l'auteur : Adeline Marthe