[Afrikarabia.com]
L’armée congolaise est à reconstruire. Après 15 années d’une guerre sans fin, l’armée régulière est toujours incapable d’assurer la sécurité de la population. Pire, elle se rend également coupable de nombreuses exactions sur les civils. Selon un collectif de 13 ONG locales et internationales, réorganiser le secteur militaire et de la sécurité est une priorité absolue pour le pays. Afrikarabia a rencontré Emmanuel Kabengele, membre de la société civile, pour qui, « une vraie réforme de l’armée est une question de volonté politique ».
En République démocratique du Congo (RDC), la réforme du secteur de la sécurité fait toujours office de véritable serpent de mer. Tout le monde en parle, tout le monde promet la réforme, mais rien ne bouge… ou presque. Depuis plus de 15 ans, le pays est ravagé par des conflits successifs. Encore aujourd’hui, une dizaine de groupes armés terrorisent les populations du Nord et de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Désorganisés, mal formés, mal payés, les militaires congolais (FARDC) sont dans l’incapacité de rétablir la sécurité dans ces zones. Ces troupes vieillissantes et non-formées à 70% se retrouvent également accusées des pires atrocités : pillages, viols, meurtres… Résultat : 1,7 million de Congolais sont déplacés dans leur propre pays et 500.000 se sont réfugiés dans les pays voisins.
Un collectif de 13 ONG congolaises, mais aussi internationales, vient de publier un rapport très complet sur la nécessité d’une réforme du secteur de la sécurité. De maigres efforts ont été réalisés par les autorités congolaises, appuyés par la communauté internationale. Mais les résultats ne sont pas au rendez-vous. Dans ce rapport, ces ONG demandent « un nouvel accord » et un « nouvel engagement du gouvernement congolais » en la matière. Des solutions sont possibles. Mais pour accélérer le mouvement, ces ONG souhaitent que les bailleurs et les pays donateurs de la RDC fassent preuve « d’exigence quant à l’utilisation des montants de l’aide dédiée à la RDC », soit plus de 14 milliards de dollars US entre 2006 et 2010 et conditionnent leur aide, par exemple, au respect des Droits de l’homme au sein de l’armée congolaise.
Ce rapport tombe à point nommé. L’Est du pays menace une nouvelle fois de s’enflammer sous la pression de groupe rebelle et le Président Kabila est toujours en quête de légitimité internationale après les élections très contestées de novembre 2011. La communauté internationale bénéficie donc d’une « fenêtre de tir » idéale pour activer cette réforme de l’armée.
Afrikarabia a rencontré Emmanuel Kabengele, coordinateur national du Réseau de la société civile congolaise pour la Réforme du Secteur de la Sécurité et de la Justice (RRSSJ). Ce membre de la société civile a participé au rapport : « RDC : Prendre position sur la réforme du secteur de la sécurité ».
– Afrikarabia : Pour quelles raisons l’armée congolaise est-elle incapable d’assurer la sécurité des populations civils et de contrôler son territoire ?
– Emmanuel Kabengele : Il y a des problèmes essentiellement structurels, d’organisation mais il y a surtout un problème d’éthique de responsabilité. Il y a pourtant eu des efforts faits pour une réforme du secteur de la sécurité, notamment sous l’impulsion de la communauté internationale. Le programme de l’Union européenne, EUSEC, est intervenu sur le recensement en réalisant un fichier pratiquement complet des effectifs et un suivi de la chaîne de paiement des salaires et de commandement. Mais ces efforts se sont révélés limités car il n’y avait pas de plan stratégique, ni de vision globale de la réforme de l’armée. Le processus de « brassage » et de « mixage » (la réintégration des mouvements rebelles dans les troupes régulières) pour obtenir une armée réellement unifiée, n’a pas pu aboutir. Sur les 18 brigades qui devraient être réintégrer dans les FARDC, seules 14 ont pu le faire et il y a régulièrement des défections.
– Afrikarabia : Lorsque vous parlez d’éthique, de quoi parlez-vous exactement ?
– Emmanuel Kabengele : Nous parlons d’éthique parce qu’il y a des choses qui se passent en dessous de table. Il y a notamment un certain nombre d’officiers qui tirent profit du contrôle des régions qu’ils dirigent. Un rapport des Nations-Unies a fait état de l’exploitation illégale des richesses dans ces régions. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a une persistance de l’insécurité dans ces territoires.
– Afrikarabia : Le faible salaire des militaires congolais, voire l’absence totale de solde dans certains cas n’explique-t-il pas le pillage des ressources naturelles (minerais, or, diamant) par l’armée régulière ?
– Emmanuel Kabengele : C’est pour cela que je vous ai parlé d’éthique de responsabilité. Le plus souvent, Kinshasa est doté d’un budget, mais pour que cet argent arrive au soldat en bas de l’échelle, il y a des problèmes. C’est ce qu’on appelle des « décaissements frauduleux ». Certains officiers garde une partie de la solde qui devait revenir aux soldats. La solde est déjà modique (59$ pour un soldat et 89$ pour un général, ndlr), mais souvent le problème se situe dans l’acheminement de la solde.
– Afrikarabia : Le manque d’argent n’est pas le principal problème ?
– Emmanuel Kabengele : C’est plutôt la redistribution qui pose un réel problème dans la gouvernance sécuritaire. L’argent n’est pas en soi le vrai problème. Le problème, ce sont les détournements. Il faut que la redistribution s’améliore. Des officiers se font construire de gros immeubles et là je me dis : oh mon dieu qu’est-ce que arrive !
– Afrikarabia : Des experts militaires estiment que les effectifs de l’armée congolaise sont trop nombreux par rapport au budget dont dispose l’Etat. Il y a 130.000 hommes au sein des FARDC, certains spécialistes pensent qu’avec 70.000 hommes mieux payés, la situation serait meilleure ?
– Emmanuel Kabengele : Le nombre de soldats n’est pas le problème pour moi. Le problème est d’ordre organisationnel. La RDC est un véritable sous-continent, le pays est immense (5 fois la France, 80 fois la Belgique, ndlr) et il y a plus de 60 millions de Congolais. Pour moi, le nombre des militaires est même un peu petit !
– Afrikarabia : Que faut-il faire ?
– Emmanuel Kabengele : Faire une vraie réforme. Pour moi la réforme n’a pas encore commencé. La preuve : l’insécurité est encore persistante à l’Est du pays. Pour moi, faire un recensement des effectifs, ce n’est pas une réforme. Donner une carte aux militaires, ce n’est pas une réforme…
– Afrikarabia : … cela peut y contribuer ?
– Emmanuel Kabengele : Bien sûr, cela peut y contribuer. Mais pour nous société civile, une réforme c’est un processus de transformation profonde des institutions d’une société. Pour que ces institutions redeviennent crédibles, il faut un réel toilettage, il faut enlever quelques brebis galeuses.
– Afrikarabia : Par quelle mesure cette réforme devrait débuter pour prendre le problème par le bon bout ?
– Emmanuel Kabengele : Il faut d’abord commencer par créer un cadre stratégique global de la réforme de l’armée. Il faut prendre exemple sur la réforme de la police, avec différentes étapes qui doivent être respectées. Cet exemple, qui est pour nous un « demi succès », pourrait avoir un effet d’entraînement sur la réforme de l’armée. La création d’une police de proximité et d’un code de bonne conduite ont amélioré la situation. Concernant l’armée, il faudrait débuter par une réelle démilitarisation progressive de l’Est du pays en élimant les « forces négatives » (les différents groupes rebelles, ndlr). Et si l’armée congolaise n’y arrive pas pour le moment, c’est qu’il y a un vrai problème stratégique à résoudre et un manque de volonté politique. Il n’y a pas de problème insoluble.
– Afrikarabia : Le problème est politique selon vous ?
– Emmanuel Kabengele : Nous avons eu beaucoup de discours. En 2006, les programmes politiques faisaient déjà de la réforme du secteur de la sécurité une priorité et la société civile l’avait salué. En 2011, on a encore fait de la réforme de l’armée une priorité. Et c’est seulement fin 2011 que le parlement adopte une loi sur cette priorité ! Nous, nous disons qu’il y a déficit de volonté politique. Et dans la mise en oeuvre, il y a un retard exagéré ! Ce rapport est là pour que tous ensemble, gouvernement et communauté internationale, on se coordonne selon une logique un peu plus cohérente. C’est une urgence et une nécessité.
Christophe RIGAUD
Afrikarabia.com