[IPS]
(07/06/13)
GOMA, RD Congo, 7 juin (IPS) – Négocier avec les rebelles des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), « c’est légitimer leur cause et encourager l’impunité », affirme à IPS, Jean Pierre Dusingimungu, président d’Ibuku, l’association qui regroupe les survivants du génocide des Tutsi au Rwanda, en 1994.
Dusingimungu réagissait ainsi à la proposition du président de la Tanzanie, Jakaya Kikwete, faite le 26 mai au sommet de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba, demandant au Rwanda et à l’Ouganda de négocier avec leurs rebelles respectifs, une condition pour pacifier l’est de la République démocratique du Congo (RDC), occupé par ces rebelles. Kikwete se référait aux négociations entre la RDC et les rebelles du M23.
« Kikwete, dont le pays abrite le siège du TPIR (Tribunal pénal international pour la Rwanda), semble ignorer l’histoire », déclare à IPS, Fanny Bahati, une survivante du génocide qui a fait 800.000 morts, selon les Nations Unies, du 6 avril au 4 juillet 1994.
« Les principaux commandants du FDLR, qui sont passibles du TPIR, ne sont même pas dans la logique de négociation », affirme à IPS, Godefroid Kä-Mana, président de ‘Pole Institute’, un institut interculturel de la région des Grands Lacs, basé à Goma, au Nord-Kivu. Il estime qu’on ne peut pas demander au gouvernement rwandais de négocier avec les FDLR.
Les propos du président tanzanien, qualifiés d’ »aberrants » par Louise Mushikiwabo, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, ont poussé celle-ci à affirmer que « ceux qui pensent que le Rwanda devrait s’asseoir à la table de négociations avec les FDLR ne savent pas de quoi ils parlent », dans une interview à Radio France internationale, pendant le sommet de l’UA.
Les propos de Kikwete constituent « une insulte au peuple rwandais », a affirmé Gédéon Kayinamura, président de la Commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale du Rwanda. Ce parlement exige des excuses de la part de la Tanzanie.
« S’opposer à la proposition du président tanzanien d’un dialogue entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda et leurs rébellions respectives, c’est s’opposer à l’avènement d’une paix durable dans la région des Grands Lacs », réagissait, de son côté, Emedy Ngaza, ambassadeur de Tanzanie en RDC, le 4 juin à Kinshasa.
Selon la Mission des Nations Unies pour la stabilisation du Congo (MONUSCO), environ 6.000 combattants FDLR se cachent encore dans l’est de la RDC, répartis au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et au Katanga, où ils vivent parfois incognito parmi les civils congolais.
Créées en mai 2000, les FDLR regroupent des membres de la milice rwandaise « Interhamwe » et la plupart d’anciens soldats des Forces armées rwandaises, accusés d’être les auteurs du génocide de 1994.
Installés dans les « zones rouges », des localités congolaises sous contrôle des rebelles rwandais, les FDLR sont éclatés en plusieurs composantes et imposent une « justice » aux civils. Le viol et l’incendie sont les peines maximales de leurs jugements arbitraires.
Ces crimes des FDLR en RDC ont conduit à l’arrestation en France, en octobre 2010, de Callixte Mbarushimana, secrétaire exécutif des FDLR, poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour « crimes commis à grande échelle » dans l’est de la RDC en 2009 et 2010. Mais la CPI l’a libéré en décembre 2011, pour insuffisance de preuves pouvant le tenir pénalement responsable des charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité portées contre lui par le procureur.
Son arrestation a été précédée par celle du président des FDLR, Ignace Murwanashyaka et de son vice-président Straton Musoni, à la fin 2009 en Allemagne, accusés, par un tribunal allemand, de crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans l’est de la RDC. Leur procès en cours.
En juillet 2012, la CPI a délivré un mandat d’arrêt contre Sylvestre Madacumura, chef d’état-major des forces armées des FDLR, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis aussi dans l’est de la RDC.
« Négocier avec les FDLR signifie effacer tous les crimes qu’ils ont commis dans l’est de la RDC », estime Kä-Mana.
« Les FDLR doivent être désarmés et rapatriés au Rwanda sans condition », déclare à IPS, Aloys Mahwa, directeur exécutif du Centre interdisciplinaire pour les études sur le génocide, basé à Kigali, la capitale rwandaise.
Pour sa part, Juvénal Munubo, élu de Walikale (Nord-Kivu), membre de la Commission de défense et sécurité à l’Assemblée nationale de la RDC, affirme à IPS, que « tous les FDLR ne sont pas génocidaires, mais tous les génocidaires sont combattants FDLR ».
De son côté, la MONUSCO a intensifié, depuis début 2013, la sensibilisation, par des projections de vidéos dans les zones FDLR, montrant des témoignages d’ex-combattants retournés au Rwanda. Ces projections ont encouragé d’autres FDLR à se porter volontaires pour le retour.
Cette campagne de sensibilisation est venue renforcée le travail de la MONUSCO sur le terrain pour atteindre quelque 26.300 combattants FDLR déjà rapatriés au Rwanda, depuis 2002.
« Chaque combattant qui se rend, avec son arme, constitue une menace en moins pour la vie des Congolais et épargne au moins, à une femme, la menace de viol », affirme à IPS, Antoine Samari, sensibilisateur pour la MONUSCO auprès des FDLR pour le Désarmement, la démobilisation, le rapatriement, la réintégration et la réinstallation.
Ceux qui rentrent ont chacun son histoire. Depuis sa naissance, en août 1994 dans un camp de réfugiés rwandais en RDC, Emmanuel Gatete n’a jamais quitté ce pays. A l’incitation de la MONUSCO, il est rentré le 9 janvier, dans une vague de 342 FDLR.
Après avoir passé deux mois de rééducation au centre de Mutobo, dans le nord du Rwanda, pour la rééducation civile, cet ex-FDLR déclare à IPS, qu’il ne regrettera jamais son retour parce que désormais, « la vie à Musanza (ouest du Rwanda) est meilleure » que celle qu’il menait dans l’est de la RDC.
Le major Rubahiza, commandant FDLR à Nyanzale, au Nord-Kivu, qualifie, pour sa part, ces rapatriements de « captures de nos hommes ».