(France24)
Le Belge Emmanuel de Mérode, directeur du parc national des Virunga, dans l’est de la RD Congo, se trouve toujours en soins intensifs à Goma, mercredi. La veille, il a été gravement blessé par balles, victime d’une embuscade.
Le Belge Emmanuel de Mérode, directeur du Parc national des Virunga, dans l’est de la République démocratique du Congo, a sans doute échappé à la mort, mardi 15 avril. Aux environs de 17 heures, alors qu’il circulait seul – et sans escorte – au volant d’une Jeep sur la route très fréquentée reliant Goma à Rumangabo (où se situe le siège administratif du parc), il est tombé dans une embuscade à une trentaine de kilomètres au nord de Goma, la capitale provinciale. Des hommes armés sortis de la forêt ont tiré cinq coups de feu sur son véhicule, deux ou trois balles – selon les sources – l’auraient atteint au ventre.
Mercredi, Emmanuel de Mérode, 43 ans, était toujours en soins intensifs à l’hôpital Heal Africa de Goma. « Je lui ai rendu visite ce matin », a indiqué le gouverneur de la province du Nord-Kivu, Julien Paluku. « Il est lucide, il parle. » Selon une source à l’ambassade de Belgique à Kinshasa citée par l’AFP, le Belge devrait être rapatrié dans son pays dans les prochains jours.
L’identité des assaillants et les raisons de cette attaque n’étaient toujours pas connues, mercredi. Les assaillants « n’ont rien pris, même son téléphone est là, ils ont tiré et fui dans la forêt », a expliqué le porte-parole militaire provincial, le lieutenant-colonel Olivier Amuli. Si depuis 1996, plus de 140 gardes du parc des Viruga ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions, « c’est la première fois que le directeur de Mérode est directement attaqué », a déclaré Norbert Mushenzi, adjoint d’Emmanuel de Mérode. Mais « ce n’est pas une tête brûlée », assure le directeur adjoint du parc contacté par FRANCE 24. « La situation sécuritaire dans le parc n’est pas du tout bonne, le contexte n’est pas facile mais on a toujours tenu bon », ajoute-t-il.
« Beaucoup de gens en voulaient à Emmanuel de Mérode »
Nommé directeur du parc national des Virunga en août 2008 par le gouvernement de Kinshasa, ce prince belge a pris ses marques dans le plus vieux parc du continent africain, classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 1979, où vivent les derniers gorilles des montagnes et gorilles des plaines qu’avait défendus Dian Fossey, l’éthologue américaine, spécialisée dans l’étude du comportement des gorilles et assassinée en 1985.
Emmanuel de Mérode a fait de la lutte contre la déforestation et le braconnage ses priorités, quitte à se faire des ennemis. Le député belge François-Xavier de Donnea confirme à FRANCE 24 que « beaucoup de gens dans la région lui en voulaient ». Il détaille « plusieurs pistes » : « Les FDLR qui transforment le bois en charbon près du volcan Nyiragongo, les Maï Maï qui pratiquent la pêche illégale dans le lac Edouard, les populations refoulées en dehors du parc où elles voulaient mener des activités agricoles, ou encore les partisans de l’implantation de compagnies pétrolières. »
« [Emmanuel de Mérode] m’a téléphoné à 12h33, mardi, pour me dire qu’il allait déposer auprès du procureur de la République à Goma un dossier, fruit de deux ou trois ans d’enquête, mettant en cause SOCO International », explique François-Xavier de Donnea. C’est sur le chemin du retour que le directeur du parc a été attaqué. « Je n’ai pas lu le dossier, je ne sais pas ce qu’il y a dedans », assure-t-il, avant de rappeler que « les officiers du parc ont qualité d’officiers de police judiciaire » et qu’ils avaient consigné des faits mettant probablement en cause les méthodes musclées de la société d’extraction pétrolière britannique. Cette dernière est déterminée à forer au sein du parc national des Virunga et avait obtenu l’appui du gouvernement congolais au grand dam de nombreuses ONG de défense de la nature.
La Belgique suivra « de près la progression de l’enquête »
Contacté plus tôt par « La Libre Belgique », François-Xavier de Donnea a trouvé « très curieux que cette embuscade survienne juste au moment où Emmanuel de Mérode dépose ce dossier. « C’est une coïncidence extrêmement troublante. » Et le député belge d’ajouter qu’il serait « temps que la justice britannique fasse la lumière sur les agissements de Soco ».
La Société civile du Nord-Kivu, qui regroupe des associations, des ONG et des syndicats, s’est déclarée « choquée » par cet acte « barbare ». Le Réseau des communicateurs pour l’environnement a condamné « avec la dernière énergie » une attaque décourageant « les initiatives de développement et de conservation communautaires ». Quant au ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, il a invité, mercredi, « les autorités congolaises à mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour faire la lumière sur cette attaque ». Il a assuré que la Belgique suivrait « de près la progression de l’enquête », annoncée mercredi, par le lieutenant-colonel congolais Olivier Amuli.
En octobre 2008, Emmanuel de Mérode confiait au « Figaro » : « Mon job n’est pas un concours de popularité. Je prends des risques, mais je les mesure. » Et d’ajouter : « Il faut sauver le parc tant qu’il est encore temps. » Ces dernières années, il avait choisi de rester sur place malgré les combats entre l’armée congolaise et les forces rebelles du M23 qui s’étaient déroulés dans la région où se trouve le parc.